L'Agorales synthèses

L'Encyclopédie de L'Agora : une vision organique du monde


Justice - droit et droits

De l'indignation à la justice

C'est dans l'indignation devant l'injustice qu'il faut d'abord chercher la voie de la justice. Il faut toutefois au préalable pouvoir distinguer le sentiment authentique et universel d'injustice de l'insatisfaction personnelle qui est à l'origine des revendications.

Simone Weil a su faire cette distinction: «Il y a depuis la petite enfance jusqu'à la tombe, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui, malgré toute l'expérience des crimes commis, soufferts et observés, s'attend invinciblement à ce qu'on lui fasse du bien et non du mal. C'est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain.

Le bien est la seule source de sacré. Il n'y a de sacré que le bien et ce qui est relatif au bien. Cette partie profonde, enfantine du cœur qui s'attache toujours à du bien, ce n'est pas elle qui est en jeu dans la revendication. Le petit garçon qui surveille jalousement si son frère n'a pas eu un morceau de gâteau un peu plus grand que lui cède à un mobile venu d'une partie bien plus superficielle de l'âme. Le mot de justice a deux significations qui ont rapport à ces deux parties de l'âme. La première seule importe.» (Écrits de Londres et dernières lettres, Paris, Gallimard, 1957, p. 13)

Peut-être serait-il préférable de ne même pas tenter de définir la justice. C'est ce que pensait Simone Weil. «Il est, écrit-elle, des mots qui ont toute leur vertu en eux-mêmes, qu'on appauvrit en tentant de leur faire correspondre une conception, ce qu'ils expriment étant inconcevable. Justice est l'un de ces mots.»
 

Le procès du droit

Mon livre Le procès du droIt (IQRC, 1987), écrit à la demande de Fernand Dumont, président de l'Institut québécois de recherche sur la cukture, a retenu l'attention, ce qui m"incita à poursuivre mes recherches et mes réflexions sur les rapports entre la culture et les institutions entre la règle sociale et la règle de droit. Voici des passages  de ce livre dans un ordre qui situe bien les principaux thèmes.

L'inflation juridique

À l'intérieur d'un phénomène global qu'il appelle, avant toute analyse, l'inflation juridique, l'auteur distingue l'inflation judiciaire, caractérisée par le nombre de procès et l'inflation législative, caractérisée par le nombre de lois. Il appelle la première le fléau américain et la seconde le mal français.

Les chiffres donnés ici datent de la décennie 1980, mais rien n'indique que la tendance ait changé.

The rape of Justice by Eustace Mullins
J'avais depuis quelques années la pénible certitude que, si nous étions sortis de l'inflation économique, nous nous enfoncions chaque jour davantage dans une autre inflation, plus nocive peut-être, plus insidieuse en tout cas: l'inflation juridique.

Aux États-Unis, ce phénomène a pris ces dernières années l'ampleur d'une catastrophe. Déjà en 1976, dans Harper's, Jerold S. Auerbach le comparaît à une plaie d'Égypte. Le titre de l'article, "A plague of lawyers" (Les avocats, une plaie!), avait quelque chose d'apocalyptique et le sous-titre semblait emprunté au pessimisme de Spengler: As the laws multiplies, so does the civilization decay. (La décadence d'une civilisation va de pair avec la multiplication des lois) Suivait une allusion à la Bible complétée par une incursion dans le langage prophétique propre à notre époque, celui des chiffres.

Ce que Dieu a épargné aux Égyptiens (la plaie des avocats), les Américains se le sont infligés à eux-mêmes. Au début du siècle il y avait aux États-Unis environ 1 avocat pour 1,100 habitants; vingt-cinq ans plus tard, le ratio était de 1:700. Aujourd'hui, il est de 1:530. [note: En 1985, il y avait 622,000 avocats aux États-Unis, soit 1/370. On en prévoit 1000000, soit 1/250 en 1990.] Depuis 1970, la population a augmenté de 6% et la profession juridique de 14%. (...) Par comparaison, le ratio au Japon est de 1:10,300. Le Canada est dans le peloton de tête, loin devant des pays comme la France et l'Allemagne. Les pays arabes sont au bas de la liste. [note: Jerold S. Auerbach, "A Plague of Lawyers", Harper's, Octobre 1976, p. 37.]

 

 

Le droit romain

Cicéron
Selon Villey il faut sans cesse revenir au droit romain pour clarifier les enjeux de la justice et faire réapparaître le sens profond de la profession d'avocat et de juge; à un droit romain considéré indépendamment des grandes philosophies de l'histoire qui en ont infléchi le sens.

Pour Villey, le droit romain pur tire sa force de son humilité, des limites à l'intérieur desquelles il se tient. Il s'agit d'abord d'un droit civil, plus précisément d'un droit limité à une cité particulière, Rome. Un tel droit peut être transposé, moyennant modifications, dans une autre cité, mais il ne peut pas s'appliquer aux différends entre deux cités, il n'est pas international, dirions-nous aujourd'hui.Ce droit civil ne repose pas sur conception achevée, transcendante de la justice, qui aurait été explicitée dans des lois et qu'il s'agirait ensuite d'appliquer en diverses circonstances; il repose plutôt sur un principe simple, l'égalité proportionnelle, (aequitas en latin) dont un juge s'inspirera pour trouver le juste milieu entre les points de vue de deux personnes - représentées ou non par un avocat - qui se disputent un bien. Il s'agit en réalité d'un droit dialectique.

Par la dialectique, ce dialogue raisonné qui éclaire progressivement l'envers et l'endroit des mots et des choses, les philosophes grecs tentaient de s'élever jusqu'à la vérité; mais dans le cas d'une mésentente sur le partage d'un bien, ce mode de discussion ne permettait aux parties d'en arriver à un accord. Il fallait donc un juge pour trancher; il tranchait selon l'équité, selon l'égalité proportionnelle, c'est-à-dire en partant non pas du principe de l'égalité des droits mais, par exemple du principe selon lequel, il faut faire varier la responsabilité en fonction de la richesse ou du pouvoir.
 

 

Du droit naturel aux droits de l'homme

Cependant, on devait bientôt découvrir que le droit au travail n’est pas toujours et partout compatible avec le droit de grève. C’est ce qui explique pourquoi, dans certains pays socialistes, en Pologne (1980…) notamment, le droit substantiel de grève est interdit.

Ce sont des constatations de ce genre qui ont inspiré à Michel Villey cette critique définitive des droits de l’homme:

« Ô médicament admirable, propre à tout guérir, jusqu’aux maladies que lui-même a produites! Maniés par Hobbes, les droits de l’homme sont une arme contre l’anarchie, pour l’instauration de l’absolutisme; par Locke, un remède à l’absolutisme, pour l’instauration du libéralisme; quand se révélèrent les méfaits du libéralisme ils furent la justification des régimes totalitaires et des hôpitaux psychiatriques. Mais en Occident, notre ultime recours contre l’État absolu; et s’ils étaient pris au sérieux, ils nous ramèneraient à l’anarchie. Outil à tout faire. On en fit usage au profit des classes ouvrières ou de la bourgeoisie — des malfaiteurs contre les juges — des victimes contre les malfaiteurs. Mais attention! Il faut choisir: ou bien des uns ou bien des autres. On n’a jamais vu dans l’histoire que les droits de l’homme fussent exercés au profit de tous. L’ennui avec les droits de l’homme c’est que nul ne saurait en jouer qu’au détriment de certains hommes. À quoi tient le succès de ce lieu commun des droits de l’homme dans la rhétorique contemporaine? À ce qu’il réussit à voiler le revers: qu’en militant pour ces droits contre le Chah d’Iran nous avons aidé à l’instauration du régime de Khomeiny.[i]
[i]
Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, Paris, PUF, p.9, 1983

Le droit positif

"Désormais, écrit Villey, tout l'ordre juridique procède de l'État et se trouve enfermé dans ses lois. C'est le positivisme juridique, philosophie des sources du droit qu'acceptent la plupart des juristes et qui les dispense, en les soumettant à la volonté arbitraire des pouvoirs publics, de la recherche de la justice. Il est vrai que le positivisme revêt maintenant des formes nouvelles: de volontariste, il devient scientifique et sociologique. On nomme droit le mouvement spontané des institutions tel que le constaterait la sociologie." On devine les dangers auxquels expose une telle philosophie. Supposons qu'un gouvernement normalement élu par une majorité en vienne à faire voter des lois incitant au génocide. Cela s'est vu comme chacun sait, et au coeur de cette culture germanique qui fit tant pour établir et défendre les fondements du droit positif. S'il n'y a aucune source d'inspiration et de référence par delà les lois écrites de l'État, qu'adviendra-t-il de la minorité menacée?

On comprend pourquoi la dernière grande guerre a suscité une critique radicale du droit positif, on comprend aussi pourquoi c'est en Allemagne, dans l'école de Francfort, que cette critique a été la plus virulente. Pour l'école de Francfort, le droit positif confine au plus dangereux des conservatismes. Il fallait un contrepoids du côté de l'idéal. D'où le retour en force des droits de l'homme: Déclaration universelle des Nations Unies de 1948. Convention Européenne des droits de l'homme en 1950. Trente ans plus tard il y eut, de ce côté de l'Atlantique, la charte canadienne et la charte québécoise.

 

La justice populaire

Pour faire régresser la règle de droit, il faut lui opposer de nouvelles solidarités. La simple évocation de la justice populaire d’antan devrait nous permettre de mieux nous orienter dans le choix de ces nouvelles solidarités.

La présence judiciaire ne s’est fait sentir en Beauce que vers 1800 et elle n’a été vraiment organisée qu’à partir de 1858. Les premières seigneuries du lieu ayant été concédées en 1736, les Beaucerons ont dû être leurs propres justiciers pendant plus de deux cents ans. Comment était-on parvenu à vivre en commun jusque-là sans police, sans avocats et sans chartes de droits? Rappelons que, pendant toute cette période, la Beauce constituait, à cent kilomètres de Québec, un milieu clos qui, à tous égards, ne pouvait compter que sur lui-même pour sa survie '.

L'étoffe du pays

En avril 1990, dans le cadre du débat public suscité par Le procès du droit et plus précisément sur le thème de la déjuciarisation, L'Agora oorganisa, en collaboration avec La Chambre des notaires du Québec, un colloque international intitulé Le droit en question. Me Claude Béland, président du Mouvement Desjardins, y prononça une conférence.En voici un extrait:

«Et c'est ici que le titre de cette allocution prend tout son sens. Ce titre, L'étoffe du pays, fait référence, comme plusieurs d'entre vous le savent peut-être, aux tissus que les Québécois fabriquaient ici avec les ressources du pays et dont ils se servaient pour confectionner leurs vêtements et pour se donner du confort. Cette étoffe était filée par nos gens et tissée sur des métiers de chez nous. Elle rivalisait avec les meilleures connues, était d'excellente texture et d'apparence distinguée. Or c'est de l'analogie de cette étoffe avec le tissu humain que forme, dans notre société, l'action communautaire que découle mon propos. Ce déploiement de solidarités de toutes sortes, «filées» par des gens d'ici, avec les ressources du pays, pour se donner une vie meilleure, constitue, il me semble, la chaîne et la trame la plus résistante qu'on puisse espérer comme tissu social fondamental.

«Les Québécois, a écrit Milan Kundera, vivent un moment privilégié: leur culture, jeune et inachevée, a encore la possibilité de se créer ( ... ), de poser ses fondements, de se définir. Ce moment privilégié, rien n'est plus facile que de le rater.» Après avoir connu le «moment juridique» de l'État Providence, nous nous retrouvons, en effet, dans une étape cruciale de notre histoire que caractérise la redécouverte de l'éthique et de la force de la solidarité. Il nous faut savoir saisir ce moment. Nous avons, en somme, à choisir entre une société caractérisée par la règle de droit et les tensions qu'elle suscite, ou une nouvelle société plus juste et plus sereine, caractérisée par la coopération, par l'union de tous.»

 

Le droit préventif

La juridicisation, nous rappelle Pierre Noreau, est "l'extension du droit et des processus juridiques à un nombre croissant de domaines de la vie économique et sociale". À rebours de ce phénomène, le droit préventif vise à développer une pratique du droit non judiciaire et une gestion préventive des conflits.

Il y a cinq ans l'expression droit préventif n'existait même pas. Or, on trouve depuis trois ans un Centre de droit préventif à Montréal. Et à la fin de 1993, paraissait un ouvrage de Pierre Noreau intitulé Le droit préventif, le droit au-delà de la loi, dont on dira peut-être un jour qu'il aura été l'amorce d'une réforme salutaire du droit. L'Agora a eu un rôle à jouer dans ces événements qui prouvent que les idées font parfois leur chemin dans le monde, si elles ne le mènent pas toujours. En 1990, L'Agora organisait, en collaboration avec la Chambre des notaires du Québec, un important colloque ayant pour thème: Le droit en question. C'est à la suite de ce colloque que la Chambre des notaires, de concert avec divers représentants du monde universitaire et du monde des affaires, décidait de fonder le Centre de droit préventif du Québec. Notaire, note, noter... Les représentants de cette vénérable profession latine ont toujours fait du droit préventif sans le proclamer. À l'origine, ils notaient les faits relatifs à une affaire, soit pour préparer un bon contrat - le bon contrat est celui qui ne donnera pas lieu à un procès le lendemain -, soit pour étayer un éventuel jugement. Dans le monde anglosaxon qui nous entoure, cette profession n'existe pas. Pour limiter les effets corrosifs d'un droit trop orienté vers la contestation devant les tribunaux, certains tentent actuellement d'y réformer la profession d'avocat de façon à ce qu'elle ait sur la société l'influence pacificatrice que la profession de notaire a toujours eue traditionnellement, dans les pays latins. Le notaire, quand il pratique vraiment sa profession, c'est-à-dire quand il n'est pas le conseiller d'une partie dans une transaction, est au-dessus de la mêlée. Sa responsabilité est de veiller à ce qu'aucune des parties dans une entente ne soit lésée. Il est un juge avant le fait

 

Réflexions sur la déjudiciarisation

En vue du Sommet de la Justice de 1992 au Québec, on m'a confié le mandat suivant: Sous le thème général de la responsabilité du citoyen, examiner et tenter d'expliquer le phénomène du recours spontané aux institutions étatiques et de la judiciarisation des rapports humains et sociaux; proposer des hypothèses de discussion et de solution.

Dans un essai paru en 1981 sous le titre de De quel droit, Jacques Grandmaison a par exemple montré comment le droit se substitue progressivement à divers aspects de la vie personnelle et collective: la coutume, la morale, la religion, la vie sociale et culturelle, la psychologie et finalement la politique. "Le droit, conclut-t-il, est un dernier refuge, sans fond humain particulier qui lui donne un visage."  A mesure qu'on avance dans les analyses de cette nature on en vient à la terrifiante conclusion que le droit en devenant l'unique instrument de libération et de régulation risque fort de se transformer par là même en son contraire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître il y un totalitarisme du droit et au moment où l'état de droit triomphe dans le monde c'est peut-être le principal danger à l'horizon

La pyramide de la justice

"Découragez le litige. Autant que vous le pourrez, persuadez vos voisins d'accepter un compromis... En tant que pacificateur, l'avocat a plus de chances d'être un homme bon. Il aura toujours assez de travail pour lui".

Abraham Lincoln, dans un cours de droit.

Dans la première partie de ce document, nous avons soutenu qu'il conviendrait, pour bien administrer la justice, de s'inspirer d'un modèle simple que nous avons présenté sous forme de pyramide.

 

 

De la règle de droit à la philia

Réflexions de Jacques Dufresne en marge du Symposium sur l'accès à la justice, organisé par le ministère fédéral de la Justice en avril 2000.

À peine apercevons-nous le mal que nous exigeons le remède; et la loi est, en apparence, le remède instantané. Qu'un scandale éclate, qu'un accident survienne, qu'un inconvénient se découvre: la faute en est aux lacunes de la législation. Il n'y a qu'à faire une loi de plus. Et on la fait. Il faudrait beaucoup de courage à un gouvernement pour refuser cette satisfaction de papier à son opinion publique.

la règle de droit se répand de plus en plus à la manière des cellules cancéreuses, envahissant simultanément la sphère de la sociabilité spontanée et celle de la morale. Certains diront plutôt, et il y là plus qu'une simple nuance, que la règle de droit remplit un vide laissé d'un côté par la dislocation des mœurs, et de l'autre par la dissolution de la morale. La justice populaire, en effet, n'existe plus en aval en tant qu'instrument de prévention, et en amont, la morale qui pourrait contenir les excès a perdu une grande partie de sa cohérence et de son efficacité.
Je pourrais citer de nombreux auteurs à l'appui de ce diagnostic, Jacques Grand'Maison, Guy Rocher et George Grant, notamment.

 

 

Droits de l’homme : point de vue de Lévi-Strauss

Distinction simple et claire entre une société dominée par la règle de droit et une société fondée sur la tradition et les genres de vie.

De toutes les opinions dont j'ai pris connaissance jusqu'à ce jour, c'est celle de Claude Lévi-Strauss qui me paraît la plus intéressante. La voici: «La Révolution française a mis en circulation des idées et des valeurs qui ont fasciné l'Europe puis le monde, et qui procurèrent à la France, pendant un demi-siècle, un prestige et un rayonnement exceptionnels. On peut toutefois se demander si les catastrophes qui se sont abattues sur l'Occident n'ont pas aussi là leur origine. On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu'elle est faite d'habitudes, d'usages, et qu'en broyant ceux-ci sous les meules de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l'état d'atomes interchangeables et anonymes. La liberté véritable ne peut avoir qu'un contenu concret: elle est faite d'équilibres entre des petites appartenances, de menues solidarités: ce contre quoi les idées théoriques qu'on proclame rationnelles s'acharnent; quand elles sont parvenues à leurs fins, il ne reste plus qu'à s'entre-détruire. Nous observons aujourd'hui le résultat».1

Si Lévi-Strauss était un représentant de la droite traditionnaliste, une telle opinion n'aurait rien d'étonnant. Il arrive qu'il est le type même de l'intellectuel de gauche. Cet anthropologue, membre de l'Académie française, est en outre considéré comme l'un des grands esprits du présent siècle. Sa pensée sur les cultures est à la fois celle d'un homme de terrain qui a connu de l'intérieur quelques-unes des dernières cultures primitives, et celle d'un penseur de grande envergure - il fut à l'origine du structuralisme - qui peut redresser des perspectives de la façon à la fois la plus convaincante et la plus inattendue.

Abstraite la Révolution française? Personne n'est plus en mesure de le comprendre que les Canadiens qui n'ont pas encore terminé leur initiation au système métrique. Adieu pied de roi! C'est le mètre qui est roi.

[…]

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen fut le décret suprême. Tous égaux devant la loi! C'est par référence à cette déclaration que les propos de Lévi-Strauss prennent tout leur sens. Défini et protégé par ses droits, et par ses rapports rationnels avec l'État, le simple citoyen devient en théorie l'égal des plus puissants, l'égal de Dieu même, mais en même temps, il risque fort de devenir le rouage anonyme d'une vaste mécanique. C'est le diagnostic que porte Lévi-Strauss sur la société française d'aujourd'hui en la comparant avec celle des autres cultures qu'il a eu le loisir d'observer,

 

À la recherche du législateur perdu

Friedrich von Hayek
Une grande question a hanté la philosophie politique contemporaine: est-il encore possible de ressusciter la figure d'un législateur rationnel qui, imperméable à l'intérêt particulier, veille au bien public? Deux auteurs ont tenté de sauver la figure du législateur du péril du relativisme et du désenchantement. Friedrich von Hayek, qui en renouant avec le constitutionnalisme libéral, a essayé de démontrer que les chambres élues, constituées suivant une division des pouvoirs appropriée, peuvent être encore le lieu d'une rationalité bien tempérée. John Rawls, qui s'inspirant de l'utopie du contrat social, a voulu nous convaincre que si nous pouvions momentanément faire abstraction de nos intérêts individuels, il nous serait possible de convenir de principes de justice universels. Bien que l'un se réclame du néolibéralisme et l'autre, de la social-démocratie, tous deux ont en commun de souscrire à l'idéal démocratique. Même si dans Droit, législation et liberté (1), son oeuvre maîtresse, Hayek s'emploie à faire une critique virulente de la démocratie contemporaine, tombée à son avis sous le joug de l'intérêt particulier, il propose en contrepartie un modèle revu et corrigé de la législation démocratique.

Depuis Platon, la philosophie s'est attachée à se demander quelles sont les qualités que le législateur doit posséder, et surtout quelle science. Avec les Lumières, cependant, le législateur a cessé d'être personnifié par le Prince. Il ne suffisait plus que le législateur fût bon et sage, encore fallait-il qu'il fût légitimement choisi. Il importait alors plus aux penseurs politiques de définir les conditions d'exercice du pouvoir législatif que de disserter sur le contenu irréductible des lois.
 

Aristophane stigmatisant la judiciarisation

Dans les Guêpes, c'est un fils, Vomicléon, qui s'en prend à son père, paysan-juge à plein temps, et fou de l'être devenu. Le père répond au nom de Chéricléon. Comment pourrait-il s'appeler autrement puisque la valeur de son jeton vient d'être triplée par Cléon? Au début de la pièce, ce sont deux esclaves qui prennent les spectateurs à témoin de la maladie de Chéricléon: une irrépressible manie de juger.

Après des péripéties plus rocambolesques les unes que les autres, un véritable dialogue a lieu entre le père et le fils, le premier représentant le peuple athénien dupé par les sophistes et les démagogues, le second représentant la jeune génération qui s'efforce de retrouver l'espoir en renouant avec les valeurs de ses ancêtres.

Vomicléon, comme Aristophane lui-même, est accusé de fomenter un retour à la tyrannie quand il s'attaque à ce qu'est devenue la démocratie: une tyrannie à six mille têtes. L'un des éléments du comique des Guêpes est que tout dans la pièce est prétexte à tourner en ridicule l'accusation de retour à la tyrannie.

 
 

Synthèses

L'Encyclopédie de l’Agora n’est pas une somme des connaissances établie par une myriade de spécialistes sans grandes affinités entre eux. Elle est une œuvre, celle d’un auteur principal entouré d’amis ayant des affinités intellectuelles avec lui et ébauchant séparément leur propre synthèse. [En savoir davantage]


Appartenance

Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité. 

Univers

À l’heure où les astrophysiciens décrivent la farandole des galaxies et la valse des étoiles, la conception dominante de l’univers se réduit au mot Big Bang, évoquant une explosion, comme celle d'Hiroshima. La tradition, et une certaine science depuis peu, nous invitent à lui préférer, métaphore pour métaphore, celle de l'éclosion, associée à celle de l'oeuf cosmique. S'il est incontestable qu'il y eut violence à l'origine, faut-il en conclure que cette violence doit être absurde comme dans une explosion, faut-il exclure qu'il puisse s'agir d'une violence ayant un sens, comme celle de l'éclosion?

Vie

«Seule la vie peut donner la vie. L’intelligence peut façonner, mais étant morte, elle ne peut donner une âme. De la vie seulement peut jaillir le vivant.» Goethe, Zahme Xenien

Mort

«Est dit éternel ce qui par soi ne peut changer ni vieillir ni périr. Une sublime amitié est éternelle en ce sens qu'elle ne peut être atteinte qu'obliquement et par des événements qui lui sont tout à fait étrangers. L'amour prétend être éternel. Les pensées les plus assurées, comme d'arithmétique et de géométrie, sont éternelles aussi. La durée, au contraire, est essentielle à tout ce qui change et vieillit par soi. L'idée de rassembler tout l'éternel en Dieu est raisonnable, quoique sans preuve à la rigueur, comme au reste tout éternel, amitié, amour, arithmétique.» (Alain, Les dieux et les arts)

Dieu

«On va à Dieu par des commencements sans fin», écrit un Père de L’Église. Cette page est notre premier commencement… Une parfaite définition de Dieu par le plus grand des théologiens serait moins à sa place ici que nos balbutiements. Étant les auteurs d’une oeuvre qui comporte déjà mille allusions à Dieu, c’est à nous, cohérence oblige, qu’il appartient d’évoquer le foyer vers lequel convergent ces allusions.

Homme

L’humanisme est une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée: l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central.

Plantes et animaux

La plante est immobile et choyée. Sa nourriture lui est donnée. Il lui suffit pour l’accueillir de laisser croître ses racines dans la terre et dans le ciel. L’animal doit chercher sa nourriture, et pour cela, il est libre dans ses déplacements. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on l’a associé étroitement à l’homme, mais ainsi amputé de sa dimension plante, ce dernier n’allait-il pas s’éloigner de ce qui deviendrait un jour un idéal pour les jeunes et pour les vieux une nécessité i : contempler et à cette fin rester immobile.

Amour

Tout dans l’univers, et l’univers lui-même, tend vers le froid uniforme, et un désordre qui n’est rien d’autre que la rupture des liens unissant  les éléments constitutifs du vaste ensemble. Dans ce monde qui se défait, les êtres vivants sont des points d’ordre qui contredisent la loi générale. En eux l’énergie, qui se dégrade tout autour, se concentre pour former tantôt une plante qui grimpe, tantôt un animal qui vole, tantôt un animal qui pense... qui aime, qui aime ô merveille! au-delà de ce que l’espèce exige de lui pour assurer sa propre reproduction.

Vérité

Qu’est-ce que la vérité ? Pourquoi nous donnons-nous tant de mal pour la trouver, la défendre et la répandre ? Tentons d’abord de répondre par le recours le plus simple et le plus spontané à la raison. La vérité c’est la vie, ce qui assure sa persistance et sa croissance : distinguer la plante toxique de la plante nourricière, la vraie beauté, celle qui élève par opposition à celle qui dégrade. La preuve est dans le résultat, dans le degré d’accomplissement des êtres en cause. 



Liberté

En bas de cette échelle, l’élan impétueux de l’animal sauvage bondissant hors de sa cage-piège; en haut un sage ébloui par ses principes, un mystique ravi par son Dieu. Impulsion dans le premier cas, contemplation dans le second. Point de choix en ces extrêmes. «Les instincts des animaux survivent dans l’homme à l’état d’ébauche.» (K.Lorenz). À leur place, un grand vide angoissant. Ce vide est le lieu de naissance de la liberté.

Bien

Le mal dont le bien doit triompher en nous pour nous rendre meilleur n’est pas une simple carie dentaire qu’on peut obturer en quelques secondes, mais une infection centrale résistant aux antibiotiques. La vie de celui qui désire vraiment en guérir ressemblera à un chenin de croix ou à la marche d’un Bouddha à recherche de la voie du milieu.

Beauté

« C'est à coups de tonnerre et de feux d'artifice célestes qu'il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s'insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd'hui : c'était le frisson et le rire sacré de la beauté! » Nietzsche

Société

«Si les citoyens pratiquaient entre eux l'amitié, ils n'auraient nullement besoin de la justice; mais, même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de l'amitié.» ARISTOTE, Éthique à Nicomaque

Désengagement

Proche du scepticisme sur le plan intellectuel, la neutralité est aussi proche de l'indifférence sur le plan affectif et de l'indifférentiation sur le plan physiologique. 

Politique

D’abord la justice et bien commun! Il sera souvent question de la démocratie dans cette synthèse. Trop peut-être, car en ce moment, dans les démocraties occidentales du moins, dont certaines sont en voie de désintégration, on a recours au concept de démocratie lui-même comme critère pour juger de la situation concrète dans les démocraties en cause. Funeste tautologie contre laquelle Aristote nous avait mis en garde.

Justice - droit et droits

C'est dans l'indignation devant l'injustice qu'il faut d'abord chercher la voie de la justice. Il faut toutefois au préalable pouvoir distinguer le sentiment authentique et universel d'injustice de l'insatisfaction personnelle qui est à l'origine des revendications.

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Nourriture et culture

Sapere : goûter et savoir. Associer ces deux expériences pour mieux comprendre l’une et l’autre et s’habituer ainsi à distinguer la vraie culture, nourricière, de la fausse, réduite au divertissement. Deux sujets vastes.

Éducation

La perspective historique la plus longue possible est la voie royale pour préciser le diagnostic et trouver les meilleurs remèdes au mal qui frappe l’éducation.



Caractère et personne

La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison.

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Sport

Plus un sport est naturel, plus il y a de chances qu'on puisse le pratiquer longtemps, parce qu'on en aura toujours le goût et les moyens. Quel que soit le sport choisi, il ne restera durable que si on le pratique avec mesure, dans le respect de l'ensemble de l'organisme et de chacun des organes et des muscles sollicités, avec en outre le souci de rendre toujours plus harmonieux les rapports de l'âme et du corps.

Art

«C'est par le truchement de l'expression artistique que les valeurs les plus hautes acquièrent une signification éternelle et une force capables d'émouvoir l'humanité. L'art possède la faculté illimitée de transformer l'âme humaine — faculté que les Grecs appelaient psychagogia. Seul, en effet, il dispose des deux éléments essentiels à l'influence éducative: une signification universelle et un appel immédiat. Parce qu'il combine ces deux moyens susceptibles de faire autorité sur l'esprit, il surpasse à la fois la réflexion philosophique et la vie réelle.» Werner Jaeger, Paideia: la formation de l'homme grec

Science

Faire acte de science c’est échapper à la contrainte sous toute ses formes : préjugés personnels, conformisme, tradition, pression sociale, financière, opinion majoritaire, y compris celle des pairs. Serait-ce la raison pour laquelle la science a fleuri dans la Grèce antique puis dans l’Europe moderne. Et n’est-ce pas en raison de  l’oubli de cette règle qu’elle tombée en disgrâce dans la Russie stalinienne et les États-Unis de Donald Trump ?

Philosophie

L'attente active, celle qui consiste à soumettre à la critique les réponses imparfaites, Socrate l'appelait philosophie, mot qui signifie amour (philein ) de la sagesse (sophia). Cet amour s’accomplit à deux conditions : la rigueur dans la pensée et le souci de la purification dans la vie personnelle. 

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Christianisme

Selon Marguerite Yourcenar, Marc Aurèle,le sage Marc-Aurèle, le divin Marc, est le Romain de l’antiquité dont il subsiste le plus de sculptures. Preuve qu’il a été le plus  admiré, aimé. S’il est vrai que la qualité d’un amour se mesure à la beauté, à la variété et au nombre des œuvres d’art qu’il a inspirées, le christianisme est une prodigieuse histoire d’amour.

Notre catholicisme

Ce catholicisme qui nous a faits ! Plusieurs sont d’avis qu'il nous a défaits à la fois politiquement et psychologiquement. Depuis 1960, ils ont eu toutes les tribunes dont ils pouvaient rêver pour exposer leurs regrets et leurs doléances. Dans cette synthèse, nous voulons donner la parole à ceux qui, sans avoir renoncé à leur esprit critique, veulent bien reconnaître que le catholicisme nous a aussi faits… un peu, a contribué à notre épanouissement et à notre accomplissement, en tant que peuple comme en tant qu’individus. Même si elle ne devait être qu’un dernier adieu reconnaissant, cette synthèse est nécessaire [...]

Québec

Le Québec est un microcosme. Se trouve-t-il un seul groupe humain sur la planète auquel il ne ressemble pas par quelque côté?
On y parle les deux langues qui ont le plus contribué à faire le monde tel qu'il est aujourd'hui: le français et l'anglais. La société de ce Québec était traditionnelle, médiévale même, il y a à peine cinquante ans; elle devance aujourd'hui la Californie dans certaines expérimentations.