L'Agorales synthèses

L'Encyclopédie de L'Agora : une vision organique du monde


Homme

Le voyant inachevé

Le voyant
Ovide, Métamorphoses

Pronaque cum spectent animalia cetera terram,
os homini sublime dedit caelumque uidere
iussit et erectos ad sidera tollere uultus
(I, 84-86).

Tandis que, tête basse, tous les autres animaux tiennent leurs yeux attachés sur la terre, il (Dieu) a donné à l’homme un visage qui se dresse au-dessus ; il a voulu lui permettre de contempler le ciel, de lever ses regards et de les porter vers les astres (trad. G. Lafaye).

L’inachevé
Pline l’Ancien

Les animaux sont guidés par leurs instincts ; les uns ont une course rapide, les autres un vol impétueux, d'autres nagent : l'homme seul ne sait rien sans l'apprendre, ni parler, ni marcher, ni se nourrir ; en un mot, il ne sait rien spontanément que pleurer. Aussi beaucoup ont-ils pensé que le mieux était de ne pas naître, ou d'être anéanti au plus tôt. Source

Konrad Lorenz

Nikolaas Tinbergen à gauche, à droite Konrad Lorenz en 1978
Lorenz s'est intéressé surtout à l'instinct. Jugée vague, et entachée de ce vitalisme qui est considéré comme une hérésie passéiste par les biologistes contemporains, la notion d'instinct était tombée en discrédit au début du siècle. C'est le moment où s'imposèrent les théories de Pavlov et des behavioristes sur l'influence du milieu. Tout dans l'être humain apparaissait comme construit de l'extérieur par voie de conditionnement. La psychologie allait enfin devenir une technologie de l'âme.

Lorenz, Tinbergen et Frisch portèrent un coup mortel à ces théories. Ils démontrèrent que les comportements des animaux sont pour l'essentiel innés, c'est-à-dire déterminés, ou plutôt orchestrés par les gènes. La théorie des instincts faisait ainsi sa jonction avec le darwinisme de même qu'avec la biologie moléculaire naissante.

Il en est ainsi chez les animaux. Qu'en est-il chez les humains? Chez l'homme, nous dit Lorenz, les instincts subsistent à l'état d'ébauche. D'où la misère de notre condition: à la place d'un instinct sûr il y a chez le jeune humain un grand vide angoissant, c'est-à-dire une intelligence et une liberté encore informes. En ce sens, nous sommes des animaux inadaptés. Entre la détermination de l'instinct chez l'animal et l'indétermination de la conscience chez l'homme, Lorenz voyait une zone noire provoquant un état de choc, analogue à celui qui résulterait de ce que les théologiens appellent le péché originel. Source

Gustave Thibon

«Éblouissante intuition de Blanc de Saint-Bonnet :’’Dieu créa l’homme le moins possible. ‘’ On pourrait dire qu’il nous a créés non à son image, mais à son ébauche.—En nous faisant l’honneur et en nous laissant le soin de parfaire cette ébauche en fonction de cette image. L’espace qui s’étend entre cette création inachevée et cette perfection impossible est le champ offert à la liberté. » Gustave Thibon, Le voile et le masque, p.122

Conceptions de l'homme selon Scheler

«Les idées relatives à l’essence et à l’origine de l’homme n’ont jamais été moins sûres, plus indéterminées et plus diverses qu’aujourd’hui.» Max Scheler a formulé ce jugement vers 1930. La confusion s'est aggravée depuis au point que, ne se reconnaissant plus dans aucune des anciennes conceptions de l'homme, de plus en plus de gens s'identifient à une nouvelle espèce, qu'ils estiment supérieure à l'animal raisonnable: le cyborg aussi appelé transhumain. Scheler a identifié cinq idées de l'homme : L’homme religieux, l’homo sapiens, l’homo faber, le sous-homme, le surhomme. L’auteur a cru bon d’ajouter deux conceptions à celles de Scheler : l’homme-machine et l’homme intégral.

L’homo sapiens

On appelle souvent homo sapiens l’homme vaguement doué de raison et vaguement différent du singe qui l’a précédé au cours de l’évolution. Scheler donne un sens plus précis à cette expression:
«1°. L’homme possède donc en lui un agent d’essence divine que toute nature ne contient pas subjectivement. 2°. Cet agent et le pouvoir qui éternellement façonne et organise le monde (qui par une action rationnelle transforme le chaos, la "matière" en cosmos) sont ontologiquement ou du moins quant au principe une seule et même chose: d’où une aptitude véritable de la raison à la connaissance du monde. 3°. Cet agent en tant que logos (règne des "formes substantielles" chez Aristote) et en tant que raison humaine peut, sans le concours des tendances et des sensations communes à l’homme et à l’animal (et dont dépendent la perception, etc.), faire preuve de puissance et réaliser ses contenus idéels ("pouvoir de l’esprit", "force propre de l’idée"). 4°. Cet agent reste absolument le même à travers l’histoire, il est identique d’un peuple à l’autre, et d’une classe à l’autre.»

L'homme intégral

L’homme intégral, par opposition à l’homme unidimensionnel, réduit à sa surface, sa dernière strate, le présent, un présent où il s’assimile de plus en plus à sa dernière invention majeure l’ordinateur et à ses variantes, le robot et le téléphone multimédia, frauduleusement qualifié d’intelligent.

[…]

Celui qui intègre son passé à son présent, qui se souvient de ce qu'il a été pour devenir ce qu'il est.  L’homme a d’abord appris à se tenir debout puis il est devenu intelligent. La tenue demeure une vertu et peut-être une condition de l’intelligence. Gottfried Benn: « On savait que les hommes n'ont plus d'âme, oh! si au moins ils avaient de la tenue.» Dans les grandes étapes de son passé long, l’homme était intégré au cosmos. Renouer avec ces étapes c’est renouer avec la nature. L’homme intégral est aussi l’homme de l’ère écologique.

L'être tombé de l'éternité

Cette idée de l’être tombé de l’éternité présente au cœur de la tradition occidentale et dans bien d’autres cultures est-elle compatible avec l’évolution comme fait, s’est-elle développée à la matière d’un embryon spirituel dans un corps déjà formé, est-elle apparue soudainement ? En un lieu précis? Le saurons-nous jamais? Est-il seulement souhaitable que nous le sachions.

Nous retiendrons ce témoignage de Lewis Mumford, (1895-1990) célèbre historien des cultures : Mumford : «Il y a plus d'un siècle, Thomas Carlyle définissait l'homme comme un « animal utilisateur d'outils », comme si c'était là tout ce qui le hissait au-dessus du reste de la création animale. Une telle surestimation des outils, armes, instruments et machines a obscurci le regard porté sur le développement de l'humanité.

Grandeurs et misères de l'incarnation

Pour un chrétien, par sa religion ou sa spiritualité, l’Incarnation c’est le Verbe fait chair, Dieu fait homme. Entre cette incarnation, l’animisme des plus vieilles cultures, la métempsychose des pythagoriciens ou la réincarnation des religions et des philosophies asiatiques, la distance est grande mais l’analogie reste permise :  l’union, dans chaque cas, d’un principe spirituel et d’un principe matériel, souvent appelés âme et corps, pour former un être vivant. On peut étendre cette analogie à des philosophies occidentales et particulièrement à celles d’Aristote, de Thomas d’Aquin, de Max Scheler qui reconnaissent cette union intime de l’âme et du corps. Au XVIIe siècle, apparaît avec Descartes une philosophie dualiste où l’âme demeure distante d’un corps considéré comme une machine. Aujourd’hui de nombreux biologistes, notamment parmi ceux qui prennent en compte la complexité, tels Brian Goodwin et Francisco Varela, s’éloignent de ce dualisme pour se rapprocher des philosophies spiritualistes traditionnelles.

L’heure n’est-elle pas venue, tout en évitant les amalgames, de réunir ces diverses conceptions de l’incarnation dans un même ensemble ayant pour fin de résister à la mécanisation et à la minéralisation du milieu vivant. La prolifération des machines autour de nous dans le cadre d’une vision du monde elle-même mécaniste nous met constamment en présence de deux nouveaux principes, l’un abstrait, l’autre matériel, caricaturant si bien l’âme et le corps que nous en venons à considérer les machines comme des images de nous-mêmes voire comme des modèles. Ce que nous faisons lorsque, sans sourciller, nous employons le mot intelligence à propos des ordinateurs. 

Ne convient-il pas aussi, pour bien marquer ce qui distingue notre intelligence incarnée des opérations désincarnées et unidimensionnelles des ordinateurs, d’étendre désormais le sens du mot incarnation à toutes les actions qui sont des expressions de la vie et donc de l’union intime de l’âme et du corps.  

Font partie de ces actions celles qui visent une fin non représentable, la perfection, plutôt qu’un objectif aux contours précis, celles dont on peut dire qu’elles sont inspirées, du sourire amical au grand art.

Les humanismes

L’humanisme est une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée: l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central.

Les humanistes à la Renaissance, ces hommes qui redécouvraient l’Antiquité avec enthousiasme, n’avaient pas achevé ce renversement. L’homme pouvait prendre plus de place dans la pensée et dans les arts sans se substituer à Dieu au centre de tout. Les figures humaines sculptées par Donatello, peintes par Holbein ou décrites par Thomas More ne se prennent nullement pour des dieux. Elles ne sortent pas de leur orbite. Dans leur nudité, dans leur vérité, elles inspirent au contraire la compassion. On est surtout frappé par leur humilité.

Cet humanisme renaissant est un humanisme chrétien. L’homme s’observe et se représente lui-même, mais à la lumière du Dieu dont il s’est distingué depuis le Moyen Âge, avec pour lui-même autant de compassion que d’admiration. La révolution copernicienne inversée s’accomplira plus tard, avec Kant.

[…]

Valéry emprunte l’expression mesure de toutes choses à Protagoras, l’auteur de cet aphorisme souvent cité dans les discussions sur l’humanisme: «L’homme est la mesure de toutes choses, de celles qui sont pour ce qu’elles sont, et de celles qui ne sont pas pour ce qu’elles ne sont pas.»

Pour Platon et Aristote, qui ont été parmi les premiers à le commenter, cet aphorisme équivaut, au sujet de la connaissance, à une prise de position que nous qualifierions de relativiste ou de subjectiviste: l’être n’est rien d’autre que ce qui est appréhendé par la connaissance sensible ou intellectuelle de l’homme. Pour l’un et l’autre , ce n’est pas l’homme( anthropos) mais Dieu qui est la mesure de toutes choses.

Mais entre l'individu réduit à lui-même et Dieu, n'y a-t-il pas un critère intermédiaire? Le mot anthropos peut désigner aussi bien l'homme singulier avec ses particularités propres ou l'universel, l'humanité dont l'essence appartient à chaque homme. Platon s'arrête au premier sens et alors la formule de Protagoras devient l'équivalent de notre À chacun sa vérité. On peut toutefois penser que Protagoras avait les deux formules à l'esprit, ce qui pouvait le conduire à un critère intermédiaire: l'accord de plusieurs individus. Cet accord constitue aux yeux de Protagoras le discours fort. «Chaque individu, écrit Gilbert Romeyer Dherbey, est certes la mesure de toutes choses, mais il est une mesure bien faible s'il reste seul de son avis. Le discours impartagé constitue le discours faible

Rétablissement de la psychologie

Je prends le mot psychologie dans son sens premier de science(logos) de l’âme (psyché). Cette science est en voie de disparition depuis plus d’un siècle. Quelle peut être sa légitimité dans un monde où le mot âme n’est prononcée que timidement et où le mot science est réservé aux choses mesurables.

«Le soin, le souci et la cure de l’âme sur la base de la philosophie furent, selon Jan Patocka, la marque de la civilisation européenne. Comme dans L’angélus de Millet, même le plus humble paysan avait souci du salut de son âme. La culture et la vie matérielle du XXE siècle se sont à l’inverse acharnées à éjecter cette âme de la vie collective. Ouvrez un livre récent de philosophie : le mot « âme », qui fut l’un des plus fréquents chez les philosophes jusqu’à hier matin, a disparu, ou bien n’est plus objet que d’histoire érudite. Il n’est plus pris au sérieux. Écoutez les conversations dans la rue, dans les familles, les débats à la télévision : on ne s’y s’affaire plus autour du salut de l’âme. On traduit « S.O.S. », qui signifie « sauvez nos âmes», par «sauvez nos vies»! Sur le mode du refoulement, nous avons effacé le mot pour abolir la réalité qui l’habitait. Les freudiens politiques s’égarent : ce n’est pas le sexe qui est le refoulé de notre civilisation, c’est l’âme. Quand Dieu est le grand refoulé de la politique française des derniers siècles, l’âme est celui de la culture.» Robert Redeker, entretien avec le Figaro, mai 2023, à propos de L’abolition de l’âme,éditions du Cerf.

Un vocabulaire pour la psycho-logie

Dans la Perte des sens, Ivan Illich rappelle que «des douzaines de mots recouvrant les nuances de la perception sont tombés en désuétude. En ce qui concerne les fonctions du nez, il s’est trouvé quelqu’un pour dénombrer les victimes : sur les cent-cinquante-huit mots allemands indiquant les variations de l’odeur employés par les contemporains de Dürer, trente-deux seulement sont encore utilisés.»2 Les sens, témoins immédiats de la vie et de sa complexité, se sont effacés devant les données chiffrées. «Nos sens nous trompent!» Nous avons pris trop au sérieux cet avertissement de Descartes.
Des sens à la sensibilité, la distance est petite. Alors que nous parvenons tout juste à distinguer la joie du plaisir, au temps de saint Thomas on avait l’embarras du choix des mots pour désigner la joie : allégresse, (provient de la dilatation du cœur) exultation (signes extérieurs d’une joie se manifestant au dehors), enjouement (certaines marques ou effets particuliers de l’allégresse). La langue française met aussi à notre disposition le mot alacrité : «État de vigueur et de vitalité corporelle souvent mêlé de bonne humeur et d’entrain.»
Un ami devant qui j’évoquais cette perte des sens et des mots attira mon attention sur la distinction que fait Alain, l’auteur de Propos sur le bonheur, entre abattement et accablement

« Accablement
C’est un état de tristesse sans espoir qui vient de la rencontre de beaucoup de malheurs, petits et grands. «Contre l’accablement on propose cette maxime : une chose à la fois.»

Abattement
C’est un état qui suit un choc inattendu, état bien distinct de celui de l’accablement, qui se fait par degrés et accumulation. L’abattement est naturel, et il faut lui laisser son temps, qui est un temps de repos.»3

Commentaire de mon ami, un docteur en psychologie comme par hasard : «Aujourd’hui nous n’avons qu'un mot pour désigner chacun de ces deux états, un mot qui nous fait entrer dans une spirale médicale conduisant au médicament : dépression. »

Pour proposer le remède approprié à l’accablement, il faut connaître le mot accablement, comme il faut connaître distinction entre la tendresse et la sentimentalité pour ne pas être dupe d’un faux amour.
[…]La psychologie classique que vous voulez rétablir, m'objectera-t-on, est destinée à des personnes en santé qui désirent devenir meilleures. À l'époque où elle était la règle, les malades mentaux étaient abandonnés à eux-mêmes. C'est vrai. Mais nous parlons ici de la psychologie, non de la psychiatrie. Or le domaine de la psychologie c'est cette zone floue où la différence entre l'aspect moral d'un trouble et son aspect médical n'est jamais parfaitement claire. Le plus souvent on a le choix entre élever le trouble, l'abattement par exemple, en le faisant concourir à l'accomplissement la personne ou le tirer vers le bas en en faisant une maladie qu'il faut guérir comme on guérit une infection locale: sans se soucier de la personne dans sa totalité.

 

l'âme: une et variée

«L'âme, reflet du monde et de l'homme, est d'une telle diversité, d'une telle complexité qu'on peut la considérer et la juger sous des angles infiniment variés.» Jung

«L’âme : ce par quoi nous échappons à toute définition.»*Thibon)

Un oiseau blessé

Elle est cet oiseau blessé en nous, cette faiblesse métaphysique, à ne pas confondre avec  nos  faiblesses psychologiques, qui nous fait désirer l'amour et  parfois l'attire vers nous:

 «Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirurq
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé» 

Aragon, Il n'y a pas d'amour  heureux

Un besoin d'infini

L'âme est aussi le lieu d'un besoin d'infini insatiable, souvent associé à la nostalgie d'une origine divine. D'où, en présence de certains êtres, le sentiment que leur regard vient de plus loin et de plus haut qu'eux-mêmes.

«Psyché vous êtes ma souffrance,
Vous vous mourez au vent d'ailleurs;
Vos yeux sont las des apparences
Et vacillants comme des fleurs.»

Maurras, Pour Psyché

La sensibilité au bien et au mal

Il y a des êtres qui donnent l'impression de n'avoir ni la fragilité ni l'innocence de l'oiseau blessé, qui ne semblent nullement regretter le ciel dont ils seraient tombés en naissant et dont la vie et la pensée semblent pouvoir s'expliquer par l'influence du milieu extérieur. Dirons-nous qu'ils n'ont pas d'âme?

Voici la réponse de Simone Weil à cette question:
«Il y a dans tous les êtres humains sans exception, depuis la petite enfance jusqu'à la tombe, en dépit de tous les crimes commis, soufferts ou observés, un je ne sais quoi qui s'attend avant tout à ce qu'on lui fasse du bien et non du mal. C'est je ne sais quoi avant tout qui est sacré.» Écrits de Londres et dernières Lettres

 

 

La division tripartite de l'âme

L'idée d'une division tripartite existe sous plusieurs variantes dans la tradition occidentale, depuis les trois âmes d'Aristote végétative, animale, intellective jusqu'au ça, au moi et au surmoi de Freud. L'un des ouvrages marquants de cette fin de millénaire, Le dernier homme ou la fin de l'histoire, de Francis Fukuyama, est tout entier construit autour de la division tripartite de l'âme telle que décrite par Platon dans l'Antiquité et Hegel au XIXe siècle.

C'est à Platon, plus précisément à son grand ouvrage intitulé La République, que l'on remonte toujours pour trouver le modèle de la division tripartite de l'âme. «Mais ce qui est difficile, écrit-il, c'est de décider si tous nos actes sont produits par le même principe ou s'il y a trois principes chargés chacun de leur fonction respective, c'est-à-dire si l'un de ces principes qui est en nous fait que nous apprenons (Noos), un autre que nous nous mettons en colère (Thumos), un troisième que nous recherchons le plaisir de manger, d'engendrer... (Epithumia).»1Voici donc de nouveau la tête, le cœur et le ventre, la tête étant le lieu de la raison, de la pensée, le ventre celui du désir. Il ne faudrait toutefois pas limiter le cœur à la colère au sens que nous donnons à ce mot. Le Thumos est en réalité le siège du courage, du sentiment de dignité, de fierté.

 

L'inconscient: Carus avant Freud

Parmi ceux qui ont établi les fondements de la psychologie des profondeurs, à laquelle Freud et Jung allaient ensuite s'identifier, Carl Gustav Carus occupe une place de premier plan, aussi importante que celle de Schopenhauer. Psyche, son grand ouvrage en psychologie, commence ainsi: «La clé de la connaissance de la nature de l'âme est à chercher dans le règne de l'inconscient. D'où la difficulté, sinon l'impossibilité, à comprendre pleinement le secret de l'âme. S'il était absolument impossible de retrouver l'inconscient dans le conscient, l'homme n'aurait plus qu'à désespérer de pouvoir jamais arriver à une connaissance de son âme, c'est-à-dire à une connaissance de lui-même. Mais si cette impossibilité n'est qu'apparente, alors la première tâche d'une science de l'âme sera d'établir comment l'esprit de l'homme peut descendre dans ses profondeurs.»1

L'inconscient est aux yeux de Carus, non une boîte de Pandore comme pour Freud, mais une sorte d'Eden intérieur. Dans son histoire de la psychiatrie, Ellenberger présente cet inconscient ainsi:
— «L'inconscient est infatigable : il n'a pas besoin de période de repos comme notre vie consciente, laquelle a besoin de se reposer et de refaire ses forces, ce qu'elle fait précisément en se plongeant dans l'inconscient.
— L'inconscient est fondamentalement sain et ne connaît pas la maladie : l'une de ses fonctions est précisément le pouvoir "guérisseur de la nature."
— L'inconscient obéit à de lois inéluctables qui lui sont propres et ignore la liberté.
— L'inconscient est doté d'une sagesse innée: il ignore les essais, les erreurs et l'apprentissage. Sans que nous en ayons conscience, notre inconscient nous relie au reste du monde.»2

Mais s'il existe aujourd'hui à Dresden, capitale de la Saxe, un hôpital portant le nom de Carl Gustav Carus, ce n'est pas d'abord à cause des oeuvres philosophiques de Carus, encore moins à cause de sa carrière de peintre et de théoricien de la peinture de paysage, c'est à cause de ses travaux en médecine, en anatomie et en physiologie notamment. D'où l'importance qu'on lui reconnaît sur le site de la Bibliothèque interuniversitaire de médecine.
 

 

Le ressentiment

«Ils sont trop verts» dit le renard de la fable, à propos des raisins bien mûrs qui sont hors de sa portée. C'est un mensonge à soi-même de ce genre, destiné à masquer un sentiment d'impuissance, qui est à l'origine du ressentiment. Une telle impuissance appelle la vengeance, une vengeance qui sera différée... Avant de se manifester, elle aura répandu son venin dans toute l'âme, discréditant non seulement les êtres grands ou puissants, ces goujatsqui ont accès aux raisins, mais jusqu'à l'idée même de grandeur et de puissance.

«Le ressentiment, écrit Max Scheler, est un auto empoisonnement psychologique, qui a des causes et des effets bien déterminés. C'est une disposition psychologique, d'une certaine permanence, qui, par un refoulement systématique, libère certaines émotions et certains sentiments, de soi normaux et inhérents aux fondements de la nature humaine, et tend à provoquer une déformation plus ou moins permanente du : sens des valeurs, comme aussi de la faculté de jugement. Parmi les émotions et les sentiments qui entrent en ligne de compte, il faut placer avant tout la rancune et le désir de se venger, la haine, la méchanceté, la jalousie, l'envie, la malice.
L'homme du ressentiment, Paris, Gallimard, 1958, p. 14.

[…]

Ludwig Klages est l'un des penseurs allemands qui, à l'instar de Scheler, ont approfondi les idées de Nietzsche sur le ressentiment. Klages utilise l'expression Lebensneid (littéralement l'envie de la vie) pour désigner la forme la plus virulente et la plus radicale du ressentiment: l'envie qui porte sur la richesse vitale d'autrui.

 

L'authenticité

Une qualité intérieure si fondamentale et si complexe qu'on se demande s'il n'est pas présomptueux de tenter de la définir. Il faut pourtant le faire. L'authenticité est en effet une vertu de l'être que, depuis Kierkegaard, Nietzsche et les philosophes existentialistes surtout, l'on oppose à une vertu traditionnelle réduite au faire. Que valent nos bonnes actions, si elles ont un mauvais effet sur notre être, si elles nous rendent amers, envieux, vindicatifs? Cette question est au coeur de la critique contemporaine de la morale traditionnelle. Elle nous ramène à la question de la purification personnelle, à laquelle les philosophes grecs ont attaché une telle importance et, par là, à l'idée d'une vertu intégrale: celle qui n'empoisonne pas l'être quand elle touche d'abord le faire et qui ne paralyse pas le faire quand elle touche d'abord l'être. (J.D.)[…]

Mais qu'est-ce que le moi véritable? D'ou vient que nous le percevons assez bien chez autrui pour avoir la certitude d'être tantôt devant une personne authentique, tantôt devant une personne empruntée? Les analyses les plus subtiles nous ramènent toujours a cette constatation du sens commun : nous jugeons de l'authenticité, sans raisonner, par intuition. Nous éprouvons un sentiment de plaisir ou de contrariété et notre jugement n'est rien d'autre que la traduction de ce sentiment. Notre certitude ressemble a celle du dégustateur. Ne dit-on pas d'ailleurs d'un vin médiocre qu'il manque d'authenticité?

Le dégustateur n'analyse pas, il flaire. Il connaît déjà les qualités intimes du vin qu'on lui offre. Il se demande si les qualités du vin contenu dans la coupe participent de ces souvenirs. Il attend une sensation bien caractéristique. Mais il demeure passif. Ce n'est pas lui qui juge, c'est le souvenir de vin d'hier qui, de lui-même, se détache de l'impression laissée par le vin d'aujourd'hui, pour la confirmer ou l'infirmer

Synthèses

L'Encyclopédie de l’Agora n’est pas une somme des connaissances établie par une myriade de spécialistes sans grandes affinités entre eux. Elle est une œuvre, celle d’un auteur principal entouré d’amis ayant des affinités intellectuelles avec lui et ébauchant séparément leur propre synthèse. [En savoir davantage]


Appartenance

Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité. 

Univers

À l’heure où les astrophysiciens décrivent la farandole des galaxies et la valse des étoiles, la conception dominante de l’univers se réduit au mot Big Bang, évoquant une explosion, comme celle d'Hiroshima. La tradition, et une certaine science depuis peu, nous invitent à lui préférer, métaphore pour métaphore, celle de l'éclosion, associée à celle de l'oeuf cosmique. S'il est incontestable qu'il y eut violence à l'origine, faut-il en conclure que cette violence doit être absurde comme dans une explosion, faut-il exclure qu'il puisse s'agir d'une violence ayant un sens, comme celle de l'éclosion?

Vie

«Seule la vie peut donner la vie. L’intelligence peut façonner, mais étant morte, elle ne peut donner une âme. De la vie seulement peut jaillir le vivant.» Goethe, Zahme Xenien

Mort

«Est dit éternel ce qui par soi ne peut changer ni vieillir ni périr. Une sublime amitié est éternelle en ce sens qu'elle ne peut être atteinte qu'obliquement et par des événements qui lui sont tout à fait étrangers. L'amour prétend être éternel. Les pensées les plus assurées, comme d'arithmétique et de géométrie, sont éternelles aussi. La durée, au contraire, est essentielle à tout ce qui change et vieillit par soi. L'idée de rassembler tout l'éternel en Dieu est raisonnable, quoique sans preuve à la rigueur, comme au reste tout éternel, amitié, amour, arithmétique.» (Alain, Les dieux et les arts)

Dieu

«On va à Dieu par des commencements sans fin», écrit un Père de L’Église. Cette page est notre premier commencement… Une parfaite définition de Dieu par le plus grand des théologiens serait moins à sa place ici que nos balbutiements. Étant les auteurs d’une oeuvre qui comporte déjà mille allusions à Dieu, c’est à nous, cohérence oblige, qu’il appartient d’évoquer le foyer vers lequel convergent ces allusions.

Homme

L’humanisme est une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée: l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central.

Plantes et animaux

La plante est immobile et choyée. Sa nourriture lui est donnée. Il lui suffit pour l’accueillir de laisser croître ses racines dans la terre et dans le ciel. L’animal doit chercher sa nourriture, et pour cela, il est libre dans ses déplacements. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on l’a associé étroitement à l’homme, mais ainsi amputé de sa dimension plante, ce dernier n’allait-il pas s’éloigner de ce qui deviendrait un jour un idéal pour les jeunes et pour les vieux une nécessité i : contempler et à cette fin rester immobile.

Amour

Tout dans l’univers, et l’univers lui-même, tend vers le froid uniforme, et un désordre qui n’est rien d’autre que la rupture des liens unissant  les éléments constitutifs du vaste ensemble. Dans ce monde qui se défait, les êtres vivants sont des points d’ordre qui contredisent la loi générale. En eux l’énergie, qui se dégrade tout autour, se concentre pour former tantôt une plante qui grimpe, tantôt un animal qui vole, tantôt un animal qui pense... qui aime, qui aime ô merveille! au-delà de ce que l’espèce exige de lui pour assurer sa propre reproduction.

Vérité

Qu’est-ce que la vérité ? Pourquoi nous donnons-nous tant de mal pour la trouver, la défendre et la répandre ? Tentons d’abord de répondre par le recours le plus simple et le plus spontané à la raison. La vérité c’est la vie, ce qui assure sa persistance et sa croissance : distinguer la plante toxique de la plante nourricière, la vraie beauté, celle qui élève par opposition à celle qui dégrade. La preuve est dans le résultat, dans le degré d’accomplissement des êtres en cause. 



Liberté

En bas de cette échelle, l’élan impétueux de l’animal sauvage bondissant hors de sa cage-piège; en haut un sage ébloui par ses principes, un mystique ravi par son Dieu. Impulsion dans le premier cas, contemplation dans le second. Point de choix en ces extrêmes. «Les instincts des animaux survivent dans l’homme à l’état d’ébauche.» (K.Lorenz). À leur place, un grand vide angoissant. Ce vide est le lieu de naissance de la liberté.

Bien

Le mal dont le bien doit triompher en nous pour nous rendre meilleur n’est pas une simple carie dentaire qu’on peut obturer en quelques secondes, mais une infection centrale résistant aux antibiotiques. La vie de celui qui désire vraiment en guérir ressemblera à un chenin de croix ou à la marche d’un Bouddha à recherche de la voie du milieu.

Beauté

« C'est à coups de tonnerre et de feux d'artifice célestes qu'il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s'insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd'hui : c'était le frisson et le rire sacré de la beauté! » Nietzsche

Société

«Si les citoyens pratiquaient entre eux l'amitié, ils n'auraient nullement besoin de la justice; mais, même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de l'amitié.» ARISTOTE, Éthique à Nicomaque

Désengagement

Proche du scepticisme sur le plan intellectuel, la neutralité est aussi proche de l'indifférence sur le plan affectif et de l'indifférentiation sur le plan physiologique. 

Politique

D’abord la justice et bien commun! Il sera souvent question de la démocratie dans cette synthèse. Trop peut-être, car en ce moment, dans les démocraties occidentales du moins, dont certaines sont en voie de désintégration, on a recours au concept de démocratie lui-même comme critère pour juger de la situation concrète dans les démocraties en cause. Funeste tautologie contre laquelle Aristote nous avait mis en garde.

Justice - droit et droits

C'est dans l'indignation devant l'injustice qu'il faut d'abord chercher la voie de la justice. Il faut toutefois au préalable pouvoir distinguer le sentiment authentique et universel d'injustice de l'insatisfaction personnelle qui est à l'origine des revendications.

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Nourriture et culture

Sapere : goûter et savoir. Associer ces deux expériences pour mieux comprendre l’une et l’autre et s’habituer ainsi à distinguer la vraie culture, nourricière, de la fausse, réduite au divertissement. Deux sujets vastes.

Éducation

La perspective historique la plus longue possible est la voie royale pour préciser le diagnostic et trouver les meilleurs remèdes au mal qui frappe l’éducation.



Caractère et personne

La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison.

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Sport

Plus un sport est naturel, plus il y a de chances qu'on puisse le pratiquer longtemps, parce qu'on en aura toujours le goût et les moyens. Quel que soit le sport choisi, il ne restera durable que si on le pratique avec mesure, dans le respect de l'ensemble de l'organisme et de chacun des organes et des muscles sollicités, avec en outre le souci de rendre toujours plus harmonieux les rapports de l'âme et du corps.

Art

«C'est par le truchement de l'expression artistique que les valeurs les plus hautes acquièrent une signification éternelle et une force capables d'émouvoir l'humanité. L'art possède la faculté illimitée de transformer l'âme humaine — faculté que les Grecs appelaient psychagogia. Seul, en effet, il dispose des deux éléments essentiels à l'influence éducative: une signification universelle et un appel immédiat. Parce qu'il combine ces deux moyens susceptibles de faire autorité sur l'esprit, il surpasse à la fois la réflexion philosophique et la vie réelle.» Werner Jaeger, Paideia: la formation de l'homme grec

Science

Faire acte de science c’est échapper à la contrainte sous toute ses formes : préjugés personnels, conformisme, tradition, pression sociale, financière, opinion majoritaire, y compris celle des pairs. Serait-ce la raison pour laquelle la science a fleuri dans la Grèce antique puis dans l’Europe moderne. Et n’est-ce pas en raison de  l’oubli de cette règle qu’elle tombée en disgrâce dans la Russie stalinienne et les États-Unis de Donald Trump ?

Philosophie

L'attente active, celle qui consiste à soumettre à la critique les réponses imparfaites, Socrate l'appelait philosophie, mot qui signifie amour (philein ) de la sagesse (sophia). Cet amour s’accomplit à deux conditions : la rigueur dans la pensée et le souci de la purification dans la vie personnelle. 

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Christianisme

Selon Marguerite Yourcenar, Marc Aurèle,le sage Marc-Aurèle, le divin Marc, est le Romain de l’antiquité dont il subsiste le plus de sculptures. Preuve qu’il a été le plus  admiré, aimé. S’il est vrai que la qualité d’un amour se mesure à la beauté, à la variété et au nombre des œuvres d’art qu’il a inspirées, le christianisme est une prodigieuse histoire d’amour.

Notre catholicisme

Ce catholicisme qui nous a faits ! Plusieurs sont d’avis qu'il nous a défaits à la fois politiquement et psychologiquement. Depuis 1960, ils ont eu toutes les tribunes dont ils pouvaient rêver pour exposer leurs regrets et leurs doléances. Dans cette synthèse, nous voulons donner la parole à ceux qui, sans avoir renoncé à leur esprit critique, veulent bien reconnaître que le catholicisme nous a aussi faits… un peu, a contribué à notre épanouissement et à notre accomplissement, en tant que peuple comme en tant qu’individus. Même si elle ne devait être qu’un dernier adieu reconnaissant, cette synthèse est nécessaire [...]

Québec

Le Québec est un microcosme. Se trouve-t-il un seul groupe humain sur la planète auquel il ne ressemble pas par quelque côté?
On y parle les deux langues qui ont le plus contribué à faire le monde tel qu'il est aujourd'hui: le français et l'anglais. La société de ce Québec était traditionnelle, médiévale même, il y a à peine cinquante ans; elle devance aujourd'hui la Californie dans certaines expérimentations.