L'Agorales synthèses

L'Encyclopédie de L'Agora : une vision organique du monde


Vie

Irréductibilité de la vie

« La vie subjective d'un côté, la réalité physique de l'autre, nous dit Michel Henri, devraient normalement être deux domaines différents, mais égaux en dignité. On a toutefois de plus en plus tendance à présenter la vie subjective comme un simple produit, voire comme un sous-produit de la réalité physique ». C'est en cela, précise Michel Henry, que consiste l'idéologie scientiste qu'il faut bien se garder de confondre avec la science proprement dite, laquelle n'implique aucune dévalorisation de la subjectivité. «Traiter notre vie subjective d'apparence et qui plus est, d'apparence illusoire, ce n'est pas seulement formuler à l'égard de l'homme et de son humanitas le plus grand des blasphèmes. Car ce qui fait cette humanitas, à la différence de la chose, c'est justement le fait de sentir et de se sentir soi-même, c'est sa subjectivité. Notre être commence et finit avec notre vie phénoménologique, il faut s'y faire. Si cette vie subjective n'est rien, nous ne sommes rien non plus. Si cette vie n'est qu'une apparence illusoire, nous ne sommes nous aussi qu'une illusion, qu'on peut aussi bien supprimer sans porter atteinte à la réalité. La négation théorique de la subjectivité implique la destruction pratique de l'humanité ou, du moins, la rend possible ».

Henri, Michel, La Recherche, «Ce que la science ne sait pas», Mars 1989, No 208, p. 405.

La vie naît de la vie

«Seule la vie peut donner la vie. L’intelligence peut façonner, mais étant morte, elle ne peut donner une âme. De la vie seulement peut jaillir le vivant.»
Goethe
Zahme Xenien

Toutes les formes de vie sont liées entre elles comme les éléments d’un écosystème. De sorte que lorsque la vie est attaquée dans une culture, elle se retire de toutes ses manifestations, des communautés et des écosystèmes aussi bien que des personnes et de leurs créations: maisons, villes, œuvres d’art, à l’instar de la mer qui, à marée descendante, se retire uniformément de toutes les baies. Le retour de la vie ne peut s’opérer que de la même manière, simultanément dans toutes les manifestions de la vi

Mais ce retour de la vie nous ne pouvons pas l’assurer par les moyens d’ordre technique qui ont justement eu pour effet de l’éloigner. C’est à la vie elle-même qu’il faut faire appel pour obtenir la vie. «La vie crée les conditions conduisant à la vie». Dans Blessed Unrest1, l'écologiste américain Paul Hawken fait de cette observation de la biologiste Janine Benyus le principe organisateur de sa pensée et de son action. Le biologiste allemand Rudolf Virchow avait déjà démontré, il y a plus d’un siècle, que la génération spontanée n’existe pas, que la vie ne peut pas jaillir toute faite de la matière inanimée. Il nous a laissé en souvenir cette formule dont nous n’avons peut-être pas mesuré la portée : omnis cellula e cellula. Toute cellule provient d’une cellule. En d’autres termes : la vie ne peut naître que de la vie, loi qui s’applique à toutes les formes de vie, y compris à celle des symboles, ce que Goethe2 avait compris: «Seule la vie peut donner la vie. L’intelligence peut façonner, mais étant morte, elle ne peut donner une âme. De la vie seulement peut jaillir le vivant».

Voyage dans l'histoire des conceptions de la vie

Tout nous invite à croire qu'il n'y a pas deux vies, l'une qu'on peut connaître et l'autre qu'on peut rêver, mais deux regards différents sur une même vie, comme il y a deux regards sur l'arc-en-ciel. Il est possible de s'émerveiller devant un arc-en-ciel même quand on sait qu'il résulte, selon des lois connues, de la rencontre de gouttelettes d'eau et des rayons du soleil. Le mécanisme qu'on a démonté, quoique impressionnant en lui-même, n'est que le squelette d'une qualité à laquelle on peut participer par le sentiment de beauté.

En dépit de la nette prédominance actuelle du regard analytique, nombreux sont ceux, même parmi les savants de laboratoire, qui parviennent encore à maintenir un juste équilibre entre les deux; mais si l'on considère les choses sous l'angle historique, c'est l'image d'un constant déséquilibre qui s'impose.

 

la vision systémique de la vie

Au cours des trente dernières années, a émergé sur le front de la science une nouvelle conception de la vie, une vision unificatrice qui intègre les dimensions biologiques, cognitives, sociales et écologiques de la vie. Au cœur même de cette nouvelle compréhension de la vie, s’est produit un important changement de métaphore : on est passé de la vision du monde comme machine à sa compréhension comme réseau. Cette nouvelle science de la vie se répand présentement à travers le monde grâce à des chercheurs remarquables et à leurs équipes. Leurs idées et concepts sont intégrés dans une grande synthèse dans le traité intitulé The SystemsView of Life (La vision systémique de la vie) dont le professeur Pier Luisi Luigi et moi-même sommes les auteurs et qui a été publié en 2014 par les Presses de l’Université Cambridge.

Nous appelons cette nouvelle conception de la vie « vision systémique » parce qu’elle implique une nouvelle façon de penser — en termes de connections, de relations, de patterns et de contextes. En science, cette façon de penser est connue sous le nom de pensée systémique parce qu’elle est essentielle à la compréhension de toutes les sortes de systèmes vivants — organismes vivants, systèmes sociaux ou écosystèmes.

C’est cette vision systémique de la vie qui sera dans cet essai le fondement conceptuel de mon analyse de l’encyclique du Pape. Je montrerai que l’éthique radicale dont le Pape François se fait le champion, exprimée parfois, mais pas toujours, en langage théologique, est essentiellement l’éthique de l’écologie profonde, une école philosophique fondée par Arne Naess dans les années mil neuf cent soixante-dix. Je vais aussi montrer par de nombreux exemples que le Pape François se révèle, dans Laudato Si’, un véritable penseur systémique.

La vie selon saint Thomas d'Aquin

« Or nous disons qu’un animal vit, à partir du moment où il se meut lui-même et tant qu’en lui un tel mouvement se fait reconnaître. Dès qu’il n’a plus de lui-même aucun mouvement et ne reçoit plus qu’une motion étrangère, on dit qu’il est mort et que la vie a défailli en lui.»

 

Dans ces conditions un homme constamment sous pression n’est-il pas un homme dont la vie est amoindrie ? Pensons au cosmonaute par rapport au coureur des bois.

 

Qu'est-ce que la vie ?

«Bien que la terre ne soit qu'une île minuscule dans l'indifférence illimitée de l'espace, elle est la seule à se présenter, dans le système solaire, comme un jardin enchanté dont les fleurs - les myriades de créatures différentes - ont ouvert la voie aux êtres humains capables de réflexion»(René Dubos)

La couleur de la terre et la grisaille des autres planètes nous renvoient à la différence fondamentale entre la matière et la vie. La couleur de la terre est le signe de l'ordre supérieur dont la vie est capable. Le second principe de la thermodynamique - qui exprime l'une des lois les plus générales que l'on puisse formuler à propos de la matière inanimée -, nous apprend que cette dernière tend vers le désordre, que l'énergie s'y dégrade, qu'elle se dissipe en passant graduellement de ses formes les plus hautes à sa forme la plus basse: la chaleur. Ce phénomène, qui peut-être mesuré, est appelée entropie.

D'où ces définitions de la vie. Pour Erwin Schrödinger, elle est néguentropie. Albert Szent Györgyi proposa ensuite le terme syntropie, plus positif, pour désigner ce qu'il a appelé «la tendance innée de la matière vivante vers la perfection». De cette tendance, Györgyi a dit ailleurs qu'elle était une «poussée (drive)» vers la synthèse, la croissance, la totalité, l'auto-perfection.

 

Vivre ou fonctionner

Il n'y a qu'une vie, mais il y a deux regards sur la vie. Le premier que l'on qualifie de scientifique, dépouille peu à peu la vie de tous ses aspects autres que numériques ou mathématiques. Ce savoir a pour idéal l'objectivité ; non seulement exclut-il la participation personnelle au réel étudié, mais il réduit le recours aux sens au minimum. La biologie, littéralement la science de la vie, se limite à cela dans notre culture savante. Et pendant ce temps, dans le langage courant, il est constamment question d'une tout autre vie, faite des aspects qualitatifs non mesurables des êtres vivants : celle qu'on attribue à certaines maisons, à certaines oeuvres d'art, à certaines personnes, dont on peut dire qu'en plus de posséder la vie comme fait mesurable, elles possèdent à un haut degré la vie comme qualité. Cette vie, nous ne pouvons la connaître que subjectivement, à travers la part que nous en possédons. Mais parce que notre biologie a horreur de la subjectivité, elle exclut l'étude de la vie comme qualité. Cette biologie est une science borgne. Seule la science de la vie complète, celle qui englobe le second regard, qui est en réalité le premier, mériterait d'être appelée biologie. C'est ce que pensaient Goethe et les romantiques allemands. C'est aussi, plus près de nous, ce que pensent des biologistes ouverts à la complexité, tel Brian Goodwin.

 

Évolution

L'évolution de l'évolution

Quand nous disons aujourd'hui d'une personne ou d'une société qu'elles sont évoluées, nous voulons dire qu'elles ont atteint un haut degré de perfection par rapport à d'autres personnes ou d'autres sociétés qui, elles, seraient demeurées figées à une étape antérieure de l'évolution.

La notion d'évolution a pris une importance telle qu'elle s'est substituée à l'idée de bien et de mal. Le mal c'est désormais, pour la majorité des gens, ce qui se trouve au bas de l'échelle de l'évolution; le bien c'est ce qui se trouve au sommet.

Parce qu'elle a de tels prolongements dans l'ordre moral, la théorie de l'évolution est donc plus qu'un quelconque chapitre de l'histoire des sciences de la vie. Substituer l'idée d'évolution à l'idée de bien ou de mal équivaut à soutenir que l'évolution des espèces végétales et animales se prolonge par l'évolution de l'espèce humaine. En est-il bien ici? Connaissons-nous assez bien les mécanismes de l'une et de l'autre de ces évolutions pour pouvoir les comparer?

GAIA et l'éco-évolution

L'évolution du règne végétal ne peut s'expliquer que si on tient compte de ses interactions avec le règne minéral, d'où l'idée, développée notamment par Pierre Dansereau, d'une science globale de la vie appelée biogéographie. Dans le cadre de l'Hypothèse Gaia on parlera de géophysiologie.

Si on pousse cette façon de voir à sa limite, on est amené tout naturellement à considérer la biosphère - la planète terre et son atmosphère - comme un grand organisme. Déjà Léonard de Vinci avait comparé les fleuves aux artères du corps humain. Auparavant, les Pythagoriciens et les Stoïciens avaient considéré le cosmos comme un grand être vivant.

Cette audacieuse métaphore est aujourd'hui une hypothèse largement accréditée. Au cours de la décennie 1960, le biologiste anglais James Lovelock fut chargé par la NASA d'étudier les possibilités de l'existence de la vie sur la planète Mars, voisine de la terre. Jusque là on avait toujours pensé que la vie n'aurait jamais été possible sur terre si l'atmosphère entourant cette dernière n'avait été constituée d'une manière bien déterminée: pour l'essentiel 79% d'azote et 21% d'oxygène.

Poser ainsi un contexte chimique particulier comme condition d'existence de la vie, c'est s'en tenir aux idées reçues sur les rapports entre la matière inanimée et la matière animée. James Lovelock a été amené à inverser cette façon de voir. C'est la vie, soutient-il, qui a créé l'atmosphère, comme l'oeuf crée sa coquille

La théorie synthétique de l'évolution

Pour et contre l'explication de l'évolution qui fait loi et qui paraît pourtant hors la loi aux yeux des juges les plus éclairés: Popper, Grassé...

A la fin du XIXe siècle l'explication darwinienne de l'évolution, jugée plus prometteuse que celle de Lamarck à cause de l'importance qu'y avait l'hérédité, était néanmoins dans un piteux état. Les lois de Mendel et les découvertes subséquentes en génétique allaient lui donner une seconde vie. Il en résulta une nouvelle constellation d'idées qu'on appelle tantôt la théorie synthétique, tantôt le néo-darwinisme.

Voici l'expérience de laboratoire à laquelle on a le plus souvent recours pour illustrer la thèse centrale de la théorie synthétique. On introduit un antibiotique, la streptomycine par exemple, dans une culture de bactéries. La plupart de ces bactéries mourront, mais l'une d'entre elles, devenue résistante à la suite d'une mutation, se reproduira d'une façon telle qu'il y aura bientôt autant de bactéries qu'au début de l'expérience.

De l'évolution biologique à l'évolution culturelle

Au moment où le darwinisme s'imposa parmi les biologistes, c'est le behaviorisme qui triomphait du côté de la psychologie et des sciences de l'éducation. Arthur Koestler a été frappé par le parallèle entre ces deux conceptions de l'homme, l'une ayant rapport à l'évolution biologique et l'autre à l'évolution culturelle. La notion de renforcement qui est au centre du béhaviorisme est à ses yeux le pendant de la notion de sélection naturelle. Les réflexes, naturels ou conditionnés, appelés réponses par Skinner, - le Darwin de cette école - seront récompensés, renforcés ou non par le milieu selon qu'ils coïncideront ou non avec les exigences objectives de ce dernier. C'est donc le milieu et lui seul qui est déterminant. C'est ce même milieu qui, d'autre part, déclenche par ses stimulis les réponses de l'organisme. L'autonomie, l'initiative, le dynamisme intérieur, sont des mots qui n'ont pas de sens dans le béhaviorisme pur de Watson ou de Skinner.


 

Aspects de la vie subjective

La vie que nous connaissons n'est pas celle que nous aimons

Quand nous abordons le thème de la vie sans préjugés, nous ne pouvons manquer de faire cette constatation troublante: il n'y a rien de commun entre la vie que nous connaissons et celle que nous aimons. Les traités de biologie nous présentent des machines complexes dont le secret est dans les gènes. Les êtres vivants auxquels nous sommes attachés, hommes, animaux ou même plantes, sont des présences dont seul le mot âme évoque adéquatement le mystère.

Nous sommes animistes, vitalistes et finalistes dans nos rapports quotidiens avec les êtres vivants. Nous croyons qu'ils ont un principe vital appelé âme et que cette âme poursuit des fins qui lui sont propres. Aussitôt que nous nous éloignons de cette expérience subjective de la vie, pour l'étudier objectivement, nous adoptons le point de vue mécaniste et réducteur: la vie se démonte comme une machine et son mouvement s'explique par une énergie semblable à celle qui fait tourner les moteurs à explosion.

La culpabilité de l’Occident ou la recherche de la vie perdue

Voici la première partie d’un diptyque. L’autocritique actuelle des Occidentaux y est comparée à celle du début de la décennie 1930 sous la forme d’ouvrages majeurs d’auteurs aussi différents que Spengler, Klages, Powys, Mumford, Ortega y Gasset, Stern, Thibon. L’autocritique actuelle n’est-elle pas une forme nouvelle de la même nostalgie romantique? Dans la seconde partie du diptyque, présentée séparément, sous le titre L’art de la greffe…sur un milieu vivant, nous nous demandons comment rétablir le lien brisé avec la vie.

Klages:

Seule la vie peut reconnaître la vie, dit en substance Klages. Le regard qui porte en guise de verres une grille mécaniste ne peut voir que des rouages et des forces. Les êtres vivants ne sont que des machines en mouvement si nous les regardons d’un regard qui ne peut et ne veut voir en eux que des rouages et des forces. Ils ont une âme si nous les regardons nous-mêmes d’un regard animé. Et s’il y a des raisons de penser que nous projetons notre âme en eux, il y en a encore plus d’affirmer que les lois quantitatives que nous croyons y apercevoir sont de pures constructions de notre esprit.

«Le corps vivant, écrit Klages, est une machine dans la mesure où nous le saisissons et il demeure à jamais insaisissable dans la mesure où il est vivant. [...] De même que l’onde longitudinale n’est pas le son lui-même mais l’aspect quantifiable du support objectif du son, de même le processus physico-chimique dans le corps cellulaire n’est pas la vie elle-même de ce corps mais le résidu quantifiable de son support objectif.»

Les créationnistes

Contrairement à ce que croient les scientistes les plus purs, le savoir scientifique ne remplacera pas la sagesse tirée de l'affirmation religieuse. Je crois plutôt que notre recherche du sens, sans nous livrer le visage de Dieu, nous livrera un Dieu plus précis, plus dépouillé de nos croyances, de notre bêtise, de nos fantasmes. Comme le sculpteur taillant la pierre fait lentement deviner la forme, peut-être devinerons-nous un Dieu dont l'image — si elle doit nous ressembler — nous invitera à la plus profonde conversion; celle de lui ressembler véritablement.

Vitalité

D'abord deux anecdotes pour situer la question. La première raconte une excommunication, la seconde une interpellation. Il m'est arrivé un jour d'employer le mot vitalité alors que je m'adressais à un groupe de philosophes adeptes du positivisme logique. La férocité des regards dont j'ai été foudroyé ne m'a laissé aucun doute sur mon sort : j'étais excommunié pour crime de lèse rationalité. Telle est l’opinion dominante sur la vitalité et sur la vie en tant qu'assimilable à la vitalité. C’est là un sujet tabou, non seulement parce qu’il n’est pas scientifique, mais sans doute aussi parce qu’il est secrètement perçu comme une discrimination, la vitalité étant inégalement répartie.

Ce que confirme l’anecdote que voici. Dans une longue émission sur le sens de la vie à laquelle j'ai participé à la radio de Radio-Canada, il y a une trentaine d'années, j'ai illustré la psychologie de Ludwig Klages par l’exemple des niveaux d'envie. Premier niveau : l'envie qui porte sur la richesse d'autrui. Elle peut me déstabiliser, mais il suffit que je sois beau et intelligent pour retrouver l'équilibre et conserver l'estime que j'ai de moi-même. Second niveau : l'envie qui porte sur l'intelligence d'autrui. Si je suis beau, riche et débordant de vie, je peux encore m'en tirer indemne. Troisième niveau : l'envie qui porte sur la beauté d'autrui : ici tout commence à se gâter : je puis bien être intelligent et riche, cela ne me rend pas ma laideur supportable, l'estime que j'ai de moi-même en est peut-être jamais diminuée ; mais si je suis très riche et très intelligent, je suis peut-être sauvé. Il existe hélas ! un quatrième niveau d'envie : l'envie qui porte sur la richesse vitale d'autrui. C'est là une chose que personne ne peut s'avouer à soi-même tant l'effet sur le moi serait destructeur. On ne peut alors réagir que par le ressentiment ou un quelconque comportement hystérique.

Il y eut dans ce cas, à propos d’une intuition, un de ces larges consensus qui rapprochent la connaissance subjective de la science. J’ai enfin compris, disaient les gens, dans leurs commentaires, pourquoi mes rapports avec telle ou telle personne sont mauvais.

Vitalisme

Pour Georges Canguilhem, le vitalisme ne se réduit toutefois pas à l'invocation d'une force spirituelle condamnée à rétrécir au fur et à mesure que progresse l'explication mécaniste. Il s'apparente à ce que nous appellerons le «regard contemplatif sur la vie». «L'oeil du vitaliste, écrit Canguilhem, recherche une certaine naïveté de vision antétechnologique, antélogique, une vision de la vie antérieure aux instruments créés par l'homme pour étendre et consolider la vie: l'outil est le langage»

 

Animisme

 

Dans La ferme africaine, Karen Blixen raconte la fascination qu'exerçait le coucou de son horloge sur les jeunes pasteurs kikuyus du voisinage. Ignorant la machine, habitués à mesurer le temps en regardant le soleil, ils considéraient l'oiseau des heures comme un être vivant. «Lorsque le coucou sortait de sa retraite, un frémissement de joie parcourait les jeunes pâtres, écrit Karen Blixen, et des rires fusaient, vite étouffés. Il arrivait aussi qu'un tout petit berger, moins soucieux que les grands de ses chèvres, revînt seul de grand matin. Il se tenait devant l'horloge éperdu d'admiration; pour peu qu'elle ne répondît pas à sa muette supplication, il s'adressait à elle en kikuyu et l'implorait amoureusement. Puis gravement il repartait comme il était venu. Mes domestiques riaient de la naïveté de petits pâtres: ''Ils croient, m'expliquaient-ils, que l'oiseau est vivant''».

À l'inverse du jeune pâtre kikuyu, nous avons tendance à projeter notre conception mécaniste du monde sur tous les phénomènes vitaux que nous observons. C'est ce que nous faisons quand nous disons qu'un être humain fonctionne plus ou moins bien. Ce qui ne nous empêche pas d'imiter l'enfant africain, naïveté et innocence en moins, ce que nous faisons quand, chose de plus en plus fréquente, nous prêtons une âme à des robots qui ne sont que des machines un peu plus compliquées que les autres.

 

 

 

Vers dorés

 

Homme ! libre penseur - te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose :
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l'univers est absent.

Respecte dans la bête un esprit agissant : ...
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d'amour dans le métal repose :
"Tout est sensible ! " - Et tout sur ton être est puissant !

Crains dans le mur aveugle un regard qui t'épie
A la matière même un verbe est attaché ...
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !

Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres !

Gérard de Nerval

Synthèses

L'Encyclopédie de l’Agora n’est pas une somme des connaissances établie par une myriade de spécialistes sans grandes affinités entre eux. Elle est une œuvre, celle d’un auteur principal entouré d’amis ayant des affinités intellectuelles avec lui et ébauchant séparément leur propre synthèse. [En savoir davantage]


Appartenance

Plus nous avançons sur le chemin de la paix intérieure et de l'intégrité, plus le sens de l'appartenance croît et s'approfondit. Ce n'est pas seulement l'appartenance [...] à une communauté qui est en cause, mais aussi l'appartenance à l'univers, à la terre, à l'eau, à tout ce qui vit, à toute l'humanité. 

Univers

À l’heure où les astrophysiciens décrivent la farandole des galaxies et la valse des étoiles, la conception dominante de l’univers se réduit au mot Big Bang, évoquant une explosion, comme celle d'Hiroshima. La tradition, et une certaine science depuis peu, nous invitent à lui préférer, métaphore pour métaphore, celle de l'éclosion, associée à celle de l'oeuf cosmique. S'il est incontestable qu'il y eut violence à l'origine, faut-il en conclure que cette violence doit être absurde comme dans une explosion, faut-il exclure qu'il puisse s'agir d'une violence ayant un sens, comme celle de l'éclosion?

Vie

«Seule la vie peut donner la vie. L’intelligence peut façonner, mais étant morte, elle ne peut donner une âme. De la vie seulement peut jaillir le vivant.» Goethe, Zahme Xenien

Mort

«Est dit éternel ce qui par soi ne peut changer ni vieillir ni périr. Une sublime amitié est éternelle en ce sens qu'elle ne peut être atteinte qu'obliquement et par des événements qui lui sont tout à fait étrangers. L'amour prétend être éternel. Les pensées les plus assurées, comme d'arithmétique et de géométrie, sont éternelles aussi. La durée, au contraire, est essentielle à tout ce qui change et vieillit par soi. L'idée de rassembler tout l'éternel en Dieu est raisonnable, quoique sans preuve à la rigueur, comme au reste tout éternel, amitié, amour, arithmétique.» (Alain, Les dieux et les arts)

Dieu

«On va à Dieu par des commencements sans fin», écrit un Père de L’Église. Cette page est notre premier commencement… Une parfaite définition de Dieu par le plus grand des théologiens serait moins à sa place ici que nos balbutiements. Étant les auteurs d’une oeuvre qui comporte déjà mille allusions à Dieu, c’est à nous, cohérence oblige, qu’il appartient d’évoquer le foyer vers lequel convergent ces allusions.

Homme

L’humanisme est une vision du monde où tout gravite autour de l’homme comme tout gravitait autour de Dieu dans la vision antérieure en Occident. Ainsi défini, l’humanisme est le produit d’une révolution copernicienne inversée: l’homme, auparavant satellite de Dieu, devient l’astre central.

Plantes et animaux

La plante est immobile et choyée. Sa nourriture lui est donnée. Il lui suffit pour l’accueillir de laisser croître ses racines dans la terre et dans le ciel. L’animal doit chercher sa nourriture, et pour cela, il est libre dans ses déplacements. Sans doute est-ce la raison pour laquelle on l’a associé étroitement à l’homme, mais ainsi amputé de sa dimension plante, ce dernier n’allait-il pas s’éloigner de ce qui deviendrait un jour un idéal pour les jeunes et pour les vieux une nécessité i : contempler et à cette fin rester immobile.

Amour

Tout dans l’univers, et l’univers lui-même, tend vers le froid uniforme, et un désordre qui n’est rien d’autre que la rupture des liens unissant  les éléments constitutifs du vaste ensemble. Dans ce monde qui se défait, les êtres vivants sont des points d’ordre qui contredisent la loi générale. En eux l’énergie, qui se dégrade tout autour, se concentre pour former tantôt une plante qui grimpe, tantôt un animal qui vole, tantôt un animal qui pense... qui aime, qui aime ô merveille! au-delà de ce que l’espèce exige de lui pour assurer sa propre reproduction.

Vérité

Qu’est-ce que la vérité ? Pourquoi nous donnons-nous tant de mal pour la trouver, la défendre et la répandre ? Tentons d’abord de répondre par le recours le plus simple et le plus spontané à la raison. La vérité c’est la vie, ce qui assure sa persistance et sa croissance : distinguer la plante toxique de la plante nourricière, la vraie beauté, celle qui élève par opposition à celle qui dégrade. La preuve est dans le résultat, dans le degré d’accomplissement des êtres en cause. 



Liberté

En bas de cette échelle, l’élan impétueux de l’animal sauvage bondissant hors de sa cage-piège; en haut un sage ébloui par ses principes, un mystique ravi par son Dieu. Impulsion dans le premier cas, contemplation dans le second. Point de choix en ces extrêmes. «Les instincts des animaux survivent dans l’homme à l’état d’ébauche.» (K.Lorenz). À leur place, un grand vide angoissant. Ce vide est le lieu de naissance de la liberté.

Bien

Le mal dont le bien doit triompher en nous pour nous rendre meilleur n’est pas une simple carie dentaire qu’on peut obturer en quelques secondes, mais une infection centrale résistant aux antibiotiques. La vie de celui qui désire vraiment en guérir ressemblera à un chenin de croix ou à la marche d’un Bouddha à recherche de la voie du milieu.

Beauté

« C'est à coups de tonnerre et de feux d'artifice célestes qu'il faut parler aux sens flasques et endormis. Mais la voix de la beauté parle bas: elle ne s'insinue que dans les âmes les plus éveillées. Doucement mon bouclier a vibré et a ri aujourd'hui : c'était le frisson et le rire sacré de la beauté! » Nietzsche

Société

«Si les citoyens pratiquaient entre eux l'amitié, ils n'auraient nullement besoin de la justice; mais, même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de l'amitié.» ARISTOTE, Éthique à Nicomaque

Désengagement

Proche du scepticisme sur le plan intellectuel, la neutralité est aussi proche de l'indifférence sur le plan affectif et de l'indifférentiation sur le plan physiologique. 

Politique

D’abord la justice et bien commun! Il sera souvent question de la démocratie dans cette synthèse. Trop peut-être, car en ce moment, dans les démocraties occidentales du moins, dont certaines sont en voie de désintégration, on a recours au concept de démocratie lui-même comme critère pour juger de la situation concrète dans les démocraties en cause. Funeste tautologie contre laquelle Aristote nous avait mis en garde.

Justice - droit et droits

C'est dans l'indignation devant l'injustice qu'il faut d'abord chercher la voie de la justice. Il faut toutefois au préalable pouvoir distinguer le sentiment authentique et universel d'injustice de l'insatisfaction personnelle qui est à l'origine des revendications.

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Nourriture et culture

Sapere : goûter et savoir. Associer ces deux expériences pour mieux comprendre l’une et l’autre et s’habituer ainsi à distinguer la vraie culture, nourricière, de la fausse, réduite au divertissement. Deux sujets vastes.

Éducation

La perspective historique la plus longue possible est la voie royale pour préciser le diagnostic et trouver les meilleurs remèdes au mal qui frappe l’éducation.



Caractère et personne

La caractérologie, une science en plein essor au début du XXème siècle, semble être aujourd’hui en voie d’extinction. Ne serait-ce pas parce que le caractère des personnes a disparu ? Certains maîtres en cette discipline, dont Ludwig Klages, en avaient prédit l’extinction pour cette raison.

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Sport

Plus un sport est naturel, plus il y a de chances qu'on puisse le pratiquer longtemps, parce qu'on en aura toujours le goût et les moyens. Quel que soit le sport choisi, il ne restera durable que si on le pratique avec mesure, dans le respect de l'ensemble de l'organisme et de chacun des organes et des muscles sollicités, avec en outre le souci de rendre toujours plus harmonieux les rapports de l'âme et du corps.

Art

«C'est par le truchement de l'expression artistique que les valeurs les plus hautes acquièrent une signification éternelle et une force capables d'émouvoir l'humanité. L'art possède la faculté illimitée de transformer l'âme humaine — faculté que les Grecs appelaient psychagogia. Seul, en effet, il dispose des deux éléments essentiels à l'influence éducative: une signification universelle et un appel immédiat. Parce qu'il combine ces deux moyens susceptibles de faire autorité sur l'esprit, il surpasse à la fois la réflexion philosophique et la vie réelle.» Werner Jaeger, Paideia: la formation de l'homme grec

Science

Faire acte de science c’est échapper à la contrainte sous toute ses formes : préjugés personnels, conformisme, tradition, pression sociale, financière, opinion majoritaire, y compris celle des pairs. Serait-ce la raison pour laquelle la science a fleuri dans la Grèce antique puis dans l’Europe moderne. Et n’est-ce pas en raison de  l’oubli de cette règle qu’elle tombée en disgrâce dans la Russie stalinienne et les États-Unis de Donald Trump ?

Philosophie

L'attente active, celle qui consiste à soumettre à la critique les réponses imparfaites, Socrate l'appelait philosophie, mot qui signifie amour (philein ) de la sagesse (sophia). Cet amour s’accomplit à deux conditions : la rigueur dans la pensée et le souci de la purification dans la vie personnelle. 

Technique

Quelques regards critiques dans un contexte, celui du progrès technique, où l’approbation inconditionnelle et universelle va de soi, en dépit de cette mise en garde maintes fois formulée : « ce qui est possible devient nécessaire.» Qui donc en ce moment veut et peut s’opposer aux innovations, souvent discutables pourtant, dans le domaine des techniques de reproduction humaine?

Ordinateur

Le mot ordinateur a des origines théologiques. Celui qui a proposé de traduire computer par ordinateur, Yves Perret, a justifié son choix en précisant que le mot ordinateur se trouve dans le dictionnaire Littré comme adjectif désignant Dieu en tant qu'Il est celui qui met de l'ordre dans le monde. L'ordinateur ressemble pourtant moins à Dieu qu'à l'homme [...]

Christianisme

Selon Marguerite Yourcenar, Marc Aurèle,le sage Marc-Aurèle, le divin Marc, est le Romain de l’antiquité dont il subsiste le plus de sculptures. Preuve qu’il a été le plus  admiré, aimé. S’il est vrai que la qualité d’un amour se mesure à la beauté, à la variété et au nombre des œuvres d’art qu’il a inspirées, le christianisme est une prodigieuse histoire d’amour.

Notre catholicisme

Ce catholicisme qui nous a faits ! Plusieurs sont d’avis qu'il nous a défaits à la fois politiquement et psychologiquement. Depuis 1960, ils ont eu toutes les tribunes dont ils pouvaient rêver pour exposer leurs regrets et leurs doléances. Dans cette synthèse, nous voulons donner la parole à ceux qui, sans avoir renoncé à leur esprit critique, veulent bien reconnaître que le catholicisme nous a aussi faits… un peu, a contribué à notre épanouissement et à notre accomplissement, en tant que peuple comme en tant qu’individus. Même si elle ne devait être qu’un dernier adieu reconnaissant, cette synthèse est nécessaire [...]

Québec

Le Québec est un microcosme. Se trouve-t-il un seul groupe humain sur la planète auquel il ne ressemble pas par quelque côté?
On y parle les deux langues qui ont le plus contribué à faire le monde tel qu'il est aujourd'hui: le français et l'anglais. La société de ce Québec était traditionnelle, médiévale même, il y a à peine cinquante ans; elle devance aujourd'hui la Californie dans certaines expérimentations.