Pagello

Remy de Gourmont
Avec sa tête innocente de brebis berrichonne, George Sand était une créature fortement sexuée; nul mâle ne lui était indifférent, mais elle préférait ceux qui, aux larges épaules, joignaient le talent d'unir leurs soupirs à son bêlement sentimental. C'est pourquoi, parmi les langueurs vénitiennes, elle rêva d'un unique amant qui eût été Musset-Pagello. Et puis c'est tout. Au temps d'Alfred de Musset, l'amour que M. Carpenter veut bien appeler homogénique n'était encore guère usité que dans les bagnes, les casernes et les internats et, bien qu'alors (ou presque) Fiévée vécût au su de Paris en concubinage avec Théodore Leclerq, auteur dramatique (dans le goût de ***), la littérature était moins que maintenant infectée par ces turpitudes et Madame Sand trouvait avec qui bêler conjointement. Elle bêla beaucoup. Pagello en avait gardé un souvenir comme d'une torride grisette; Musset, d'autre tempérament, avait peur de cet être effarant qui ne cessait d'écrire et ne lâchait la plume que pour se ruer sur un autre instrument. En littérature, ils pouvaient s'entendre. De l'un ou de l'autre les lettres sont du même ton et du même style Louis-Philippe ; c'est le rococo sentimental dans toute son aberration ingénue : «... Serai-je ta compagne ou ton esclave ? Me désires-tu ou m'aimes-tu ? Quand ta passion sera satisfaite, sauras-tu me remercier ? Quand je te rendrai heureux, sauras-tu me le dire?
... Sais-tu ce que c'est que le désir de l'âme que n'assouvissent pas les temps, qu'aucune caresse humaine n'endort ni ne fatigue? Quand ta maîtresse s'endort dans tes bras, restes-tu éveillé à la regarder, à prier Dieu et à pleurer?... » On démêle, pourtant dans ce pathos inane une singulière science de l'amour. Elle savait ce qu'a souvent de pénible l'après et, naïvement, s'informait. Grisette, sans doute, mais grisette supérieure.

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