La prédiction du temps

Remy de Gourmont

Depuis la publication de cet article, la science météorologique s'est considérablement développée; elle n'est plus, comme la qualifiait l'auteur, une "science future", même si ses prévisions sont loin d'être toujours justes. Toutefois, "ce qui est parfaitement stable, c’est l’incapacité de l’homme à vivre la journée présente, telle qu’elle est, telle que nous l’offre le hasard de l’évolution universelle. Son inquiétude s’échappe toujours vers le lendemain, et ainsi il augmente encore la brièveté d’une vie fugitive."

15 janvier [1905]

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La prédiction du temps. – C’est un jeu qui a toujours beaucoup amusé les hommes. Il n’a fait, depuis les époques les plus reculées, aucun progrès. On lisait, le lundi soir, dans Le Temps, organe prédestiné : « Un temps très beau et très froid est probable. » Vers minuit, le ciel était clair, les étoiles brillaient, terribles, tout corroborait la prophétie. Mais voici que, le lendemain matin, le ciel était couvert, le thermomètre montait; bientôt volèrent des mouches de neige. Telle est cette science que l’on appelle météorologique. Elle est ridicule.

Sans doute, s’ils se bornent à relever des observations précises sur le temps qu’il fait, des hommes peuvent avoir l’illusion de travailler pour une science future; et cette illusion est des plus honnêtes. Malheureusement, la tentation les prend de nous confier leurs sentiments sur le temps qu’il fera et les voilà au niveau de Mathieu de la Drôme ou de l’Ermite de Chillon. D’aucuns conjecturent l’avenir d’après le soleil; ses taches augmentent : mauvais présage. Pour les gens simples, il y a les dictons populaires; seulement ils sont contradictoires. Autrefois, par l’aspect du ciel, on prédisait les guerres, la peste, les hérésies. Mais vienne quelque belle comète et l’on verra si la mentalité moyenne a fait de si grands progrès.

Ce qui est parfaitement stable, c’est l’incapacité de l’homme à vivre la journée présente, telle qu’elle est, telle que nous l’offre le hasard de l’évolution universelle. Son inquiétude s’échappe toujours vers le lendemain, et ainsi il augmente encore la brièveté d’une vie fugitive. Il faudrait appuyer sur chaque heure, quand l’heure est bonne, la presser et en boire le suc. Le souci du futur est humain. Exagéré, il devient une manie. Il ne devrait porter, en tout cas, que sur les faits à venir qui, dans une certaine mesure, dépendent de la direction de notre activité. Pour le reste, il est sage de prendre le temps comme il vient et de s’accommoder aux circonstances. […] Mais la direction de rien n’appartient à personne. Les plus prudents savent à peine ce qu’ils font. Ni les politiciens ne régissent les événements politiques, ni les météorologistes les cours des vents. Dans l’une et l’autre atmosphère, les changements sont rapides et le plus souvent inattendus. Il y en a de probables en France. Les cœurs sont gelés; ils dégèleront.

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