Aristote contemplant le buste d'Homère

Jacques Dufresne

Au Metropolitan Museum de New York, on peut voir un tableau de Rembrandt datant de 1653. Un philosophe, Aristote (~384 ~322), y contemple un poète qui a vécu cinq cents ans avant lui, Homère. La grande tradition grecque est suspendue, presque palpable, entre leurs regards.

Aristote, dans le tableau de Rembrandt, est lui-même un vieillard inquiet qui semble implorer la lumière, attendre une réponse à des questions que les hommes ne cesseront plus de se poser : comment protéger les libertés, comment faire régner la justice, quelle est la meilleure forme de gouvernement?

Il avait bien des raisons d'être inquiet. Son maître Platon (~428 ~347), avait rêvé d'une cité idéale; il avait même trouvé en Dion de Syracuse le jeune prince philosophe qui allait donner corps à son rêve. Aristote sera témoin de l'échec de Dion, échec qui fut, à une échelle infinitésimale, la préfiguration de tous les échecs futurs de l'idéalisme en politique, dont celui du communisme. Aristote aurait pu prendre à son compte ce mot qu'un sage anglais, Lord Acton, prononcera au début du vingtième siècle : « Le meilleur moyen de faire de la terre un enfer, c'est de vouloir en faire un paradis ».

Aristote appelle la lumière, de son regard tourné à la fois vers le buste d'Homère et vers l'infini. Sa main droite, une main anguleuse et décharnée de vieillard, est posée sur la tête du poète aveugle. Une lumière tout intérieure émane du buste d'Homère et, conduite par la main et le bras d'Aristote, elle enveloppe ce dernier d'un manteau d'or. Tel est en effet le génie de Rembrandt : transformer la lumière en or.

Cette lumière devenue or est aussi celle du soleil couchant. Avec Homère, le soleil se levait sur la Grèce, il se couche avec Aristote, le dernier témoin de la gloire d'Athènes, l'auteur de la synthèse ultime et, par là, le précepteur de la postérité occidentale.

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