La multiversité en démocratie : réflexions sur le pouvoir universitaire, au Québec et ailleurs

Marc Chevrier

Texte paru dans : É.-Martin Meunier (dir.), Le Québec et ses mutations culturelles : six enjeux pour le devenir d’une société, Ottawa, Les presses de l’Université d’Ottawa, 2016, p. 195-254.

Résumé

Les sociétés démocratiques d’aujourd’hui sont confrontées à un beau paradoxe : elles portent aux nues l’instruction et l’avancement des connaissances, mais l’institution sur laquelle repose cette exigence, l’université, laquelle est censée être un sanctuaire pour la pensée libre et l’accroissement des lumières, suscite doutes, remises en question, voire des révoltes étudiantes, comme celle du printemps 2012 qui agita le Québec et qui fut à l’origine d’une crise gouvernementale sans précédent. Pour comprendre le malaise que semble traverser l’université, au Québec, comme ailleurs en Occident, l’auteur propose, dans un premier temps, de faire une analyse sociohistorique de l’institution universitaire au Québec, où les traditions anglaise, française, catholique et américaine de l’université se sont croisées, puis dans un deuxième temps, de penser la tension entre l’université, devenue multiversité, et la société démocratique. Au vrai, l’université, qui est une institution au mieux aristocratique, au pire oligarchique, est en porte-à-faux à bien des égards avec celle-ci, bien que les universitaires et les divers acteurs, État, industrie et groupes sociaux, auxquels la multiversité rend des services tentent de neutraliser ou d’atténuer cette tension. Enfin, l’auteur s’interroge sur l’avenir des sciences sociales et des humanités, ainsi que de la recherche en langue française, notamment au Québec où ces questions ont à peine été évoquées pendant les débats publics consécutifs à la révolte étudiante de 2012.

Table des matières cliquable

 L’institution universitaire au Québec. 2

L’université dans la société démocratique contemporaine. 14

De la multiversité québécoise. 23

De l’apesanteur des sciences sociales et des humanités, et de la langue française, dans la multiversité québécoise  30

En guise de conclusion : après les naufrages, les abîmes et les ruines de l’université

 

 

. 38

 

Depuis la révolte étudiante de 2012, les réflexions se sont multipliées sur l’avenir de l’université québécoise et ses récentes métamorphoses. À l’instar de Jean-Félix Chénier, il m’apparaît plus juste de parler d’un Printemps non pas « érable » mais bien québécois, car il fut bien peu canadien dans son déploiement et fort éloigné des révolutions arabes qui ont jeté bas de vieilles dictatures[1]. À vrai dire, le débat sur l’université au Québec était déjà bien engagé, avant même les premières manifestations estudiantines du printemps 2012. La réforme de la formule de financement des universités patronnée par François Legault en 2000, les fiascos financiers de plusieurs universités, dont celui, spectaculaire, de l’UQAM, suivi d’une longue grève de ses professeurs, la multiplication de campus universitaires extraterritoriaux, et plusieurs autres questions encore, avaient déjà nourri de nombreuses inquiétudes et analyses. Si les revendications du Printemps étudiant de 2012 ont axé le débat sur le montant des droits de scolarité, d’autres questions, non moins fondamentales, ont retenu l’attention, comme les finalités de l’université, l’emprise de l’économie et des impératifs gestionnaires sur l’enseignement supérieur, etc. À voir les publications qui ont suivi ce Printemps, la réflexion plus large sur ce qui semble s’avérer une véritable « crise de l’éducation » s’est poursuivie[2], dans le calme « relatif » consécutif aux élections de septembre 2012.

Cela dit, la littérature sur l’université au Québec reste paradoxalement assez maigre, en ce sens que vouée à la critique de tel aspect du fonctionnement de l’université ou de tel autre, elle dit peu de choses sur cette institution, son inscription historique, ses rapports avec l’État. On oublie souvent d’observer que l’intérêt que porte l’état québécois[3] à ses universités est encore jeune, puisqu’il remonte à la Révolution tranquille. Beaucoup d’écrits relatifs à l’université québécoise sont animés de l’esprit des bâtisseurs : on souligne d’emblée les avancées, les moments fondateurs, les chantiers à compléter. Le Sommet sur l’enseignement supérieur du 25 et 26 février 2013 s’est conclu d’ailleurs par l’annonce de cinq « chantiers », dont l’un, confié à Lise Bissonnette et John Porter, a abouti à la remise d’un rapport sur ce que devrait contenir une loi-cadre sur les universités au Québec[4]. L’idée que l’université québécoise serait un chantier permanent relève sans doute de la propagande politique; seulement, elle connote aussi l’idée que l’enseignement supérieur serait sans histoire propre, puisque nous en serions encore au stade de la fondation. Cette a-historicité se reflète aussi dans la littérature sur l’université québécoise, qui pense celle-ci dans sa généralité, comme si l’université était une évidence naturelle. En Belgique, Guy Haarscher, qui a codirigé avec deux collègues un collectif intitulé L’université en questions, observait le paradoxe suivant, à savoir que les universitaires sont prompts à décortiquer le monde extérieur sans pouvoir en faire de même pour leur propre institution :

Il serait paradoxal que les universités portent – c’est leur tâche essentielle – un regard scientifique et critique sur les objets de leurs différentes disciplines sans se montrer capables par ailleurs de faire le même travail à propos de l’« objet Université ». Une institution peut se permettre de ne pas trop réfléchir sur elle-même dans des circonstances calmes ou « froides » […] : ses missions sont alors assez claires, son environnement relativement constant, les pressions de changement ne se manifestent pas trop fortement. Il en va très différemment quand le contexte extérieur change profondément […][5].

 

C’est un peu pour sortir de ce paradoxe et parce que l’université, au Québec comme ailleurs, subit de grandes transformations que je tenterai de penser l’« objet Université », au moyen du concept qui décrit le mieux ce qu’elle est devenue : la multiversité. Il s’agira, en fait, de penser la coexistence de l’université et de la société démocratique, qui ne va pas nécessairement de soi. Mais tout d’abord, quelques rappels sociohistoriques sur l’université québécoise.

L’institution universitaire au Québec

Comme l’observait justement Claude Corbo, « ceux qui pensent l’université ne peuvent le faire dans l’indifférence à l’endroit du monde qui l’entoure[6] ». L’auteur est en effet l’un des rares universitaires à avoir engagé une réflexion sociohistorique sur l’université québécoise[7]. Son anthologie des diverses formes de l’idée d’université qui se sont exprimées dans le débat public comble un manque sur cette question. Dans son avant-propos, Corbo distingue cinq idées de l’université, qu’il définit comme « la conception générale ou philosophique que l’on se fait de cette institution, la vision que l’on a de la nature et du rôle de l’université, de ses finalités, de ses rapports avec la société, la religion et les Églises, les divers groupes sociaux, l’État et les autorités civiles[8] ». Corbo prend soin de préciser que ce qu’il entend par « idée d’université » se distingue du « modèle d’organisation des établissements », qui renvoie aux diverses expériences nationales (britannique, américaine, française). Parmi les cinq idées de l’université, Corbo reconnaît la théologique, l’humaniste, la fonctionnelle, l’utopique et la révolutionnaire. Cette séquence suit assez bien la courbe d’apparition de ces idées dans l’histoire québécoise. Seulement, en séparant aussi nettement l’idée de l’université de ses modèles d’organisation, l’auteur n’est pas allé jusqu’à voir comment ces modèles se sont reproduits au Québec et ont influé, en quelque sorte, sur les diverses « idées » de l’université qui y ont vu le jour.

C’est peut-être par le détour d’un regard non québécois sur l’université québécoise que s’établira le lien entre l’idée d’université et son modèle d’organisation. Dans Les révolutions de l’université, le philosophe Alain Renaut consacre quelques pages à l’histoire de l’université québécoise. En étudiant la naissance de l’Université Laval, il s’étonne de voir se récréer, six siècles plus tard et en terres américaines, l’université médiévale catholique sur le modèle de l’Université de Paris[9]. Celle-ci fut à la fois chose du roi et chose d’Église, puisque sa création procéda de l’un et de l’autre; elle se réalisa par l’idée juridique de corporation, ou universitas, entendue comme corporation des « maîtres et des étudiants ». Elle se vit octroyer un privilège, celui de conférer le titre de licentia docenti, valable pour toute la chrétienté; c’est donc un monopole qu’elle exerça, qu’elle dut défendre contre les ordres mendiants, tels que les Dominicains et les Franciscains, qui voulurent ouvrir leurs propres écoles. Calquée sur ce modèle, l’Université Laval reçut en 1852 la personnalité civile grâce au sceau de la reine Victoria apposé à sa charte, puis la personnalité canonique, en 1876, par la bulle Inter varias sollicitudines du pape Pie IX. Le monopole de l’Université Laval ne fut pas durable ni entier; l’ouverture d’une succursale de l’université à Montréal en 1876 déclencha une âpre querelle entre celle-ci et Québec, finalement arbitrée par le pape Benoît XV qui, dans un rescrit de 1919, décréta l’émancipation de la succursale montréalaise[10]. Bien que cette nouvelle université obtînt sa charte civile de l’Assemblée législative du Québec en 1920, il faudra attendre la bulle papale Christiani orbis avant que l’Université de Montréal se vît conférer une pleine et entière autonomie en 1927, tout en conservant un statut doublement laïc et clérical[11]. Fondée en 1848, l’Université d’Ottawa acquit, quant à elle, sa personnalité canonique en 1889. Et, depuis 1821, s’était constituée une université anglophone et anglicane, l’Université McGill, devant tirer son inspiration des universités écossaises et allemandes[12]; mais, de cette université, Renaut ne dit presque rien.

Pierre Graveline a déjà souligné les circonstances de la création de cette université. Profitant du peu de députés canadiens-français à l’Assemblée législative du Bas-Canada, le pouvoir colonial anglais institua en 1801 une corporation d’enseignement, la Royal Institution for the Advancement of Learning, qui devait instaurer un système centralisé d’écoles, sans restriction de croyance. Or, ce système reprenait les termes d’un projet avorté en 1799, patronné par l’évêque anglican de Québec, d’instituer un système d’écoles uniforme qui visait ni plus ni moins « l’assimilation des Canadiens français[13] ». Les autorités coloniales gardaient la main haute sur la nomination des dirigeants des écoles de l’Institution royale, financées notamment par les biens que le Conquérant avait confisqués aux Jésuites[14]. Alors que les sujets canadiens boudèrent la Royal Institution, elle suscita la critique des anglophones non anglicans; elle survivrait néanmoins aux changements de régimes coloniaux. Ce fut sur la base de cette institution que s’édifierait l’Université McGill, par le don testamentaire que le riche écossais fit à la Royal Institution. Aujourd’hui encore, le nom juridique de l’université porte la trace de cette institution, soit en français : l’Institution royale pour l’avancement des sciences (Université McGill)[15], qui doit sa fondation juridique à une charte royale, conférée par George IV en 1821, renouvelée en 1852 par Victoria. L’Institution royale figure d’ailleurs dans la liste officielle des « organismes portant le titre royal au Canada », celui-là conféré par nul autre que George III[16]. Jusqu’en 1852, la direction de l’Université McGill incombait au clergé anglican, et son conseil d’administration était composé, pour l’essentiel, de membres de l’exécutif colonial; il s’agissait de calquer l’université anglicane sur le modèle des universités d’Oxford et de Cambridge, dispensant une éducation nourrie d’humanités classiques. À partir de 1852, la direction de l’université admit les autres protestants, et les marchands entrèrent au conseil d’administration. Des changements apportés à la charte de l’université en 1864 réservèrent la gestion de l’université aux civils de confession protestante, le pouvoir politique s’en étant retiré en 1863. Cette restriction confessionnelle sera maintenue jusqu’en 1934[17]. Par ailleurs, l’ancêtre de l’Université Bishop, le Collège Bishop, créé en 1843 pour former les ministres anglicans, obtint sa charte de Victoria en 1852 également.

En fait, avant la création du Dominion canadien et de l’état du Québec, deux types d’université existaient au Québec : l’université médiévale catholique et l’université médiévale à l’anglaise – d’un côté, Laval, et de l’autre, McGill et le Collège Bishop. Dans leur traité sur le droit de l’enseignement supérieur, Andrée Lajoie et Michelle Gamache analysent le statut et les pouvoirs de ces trois universités « pré-confédératives », toutes trois créées par charte royale, un mode d’incorporation issu du Moyen Âge[18]. Dans la doctrine juridique anglaise, la création des universités était conçue comme une des prérogatives du monarque qui, en tant que personne souveraine, pouvait accorder pouvoirs et privilèges à une corporation. De même, entrait également dans ces prérogatives, selon plusieurs auteurs, le pouvoir de « décerner des grades[19] ». Sur le plan juridique, on pourrait penser, opinent Andrée Lajoie et Michelle Gamache, que les universités créées par charte royale, comme McGill et Bishop, auraient une capacité juridique plus grande que celles dont la création procède d’une loi spéciale, puisque les premières ne seraient pas soumises à la doctrine de l’ultra vires, qui oblige les organismes subordonnés à respecter les termes de leur loi constitutive. De plus, conformément à la tradition monarchiste anglicane de l’université, McGill et Bishop ont des « visiteurs », le représentant légal du souverain pour la première – le Lieutenant-gouverneur depuis 1867 –, les évêques québécois de l’Église anglicane canadienne pour la seconde, qui peuvent exercer à leur égard, en théorie du moins, un pouvoir d’inspection et de surveillance[20].

Nonobstant ces considérations juridiques, il importe aussi de rappeler le mode d’institution de l’université médiévale. Ainsi que l’observent Christophe Charle et Jacques Verger, bien que les premières universités en Europe fussent créées à l’instigation d’un octroi royal, l’appui de la papauté fut plus déterminant encore dans leur essor. En parlant du rôle de la papauté, ils écrivent : « Elle a partout garanti l’autonomie universitaire; par là même, elle reconnaissait aux universités une sorte de magistère doctrinal, théologique et juridique, étendu à toute la chrétienté, au service ultime, évidemment, des finalités définies par elle-même[21]. » C’est cette dimension chrétienne et universaliste de l’université médiévale qui a fondé l’extraterritorialité de l’institution universitaire, à savoir que celle-ci, bien que dépendante de l’État, ne procède pas de lui, car elle possède une légitimité qui lui est extérieure, et cultive une allégeance ainsi que des champs d’action et de réflexion qui dépassent les frontières de celui-ci. À l’instar de l’Église, les universités sont des institutions dont la naissance et la légitimité sont antérieures à la formation de l’État moderne en Europe. Au surplus, pendant le Moyen Âge anglais, les universités possédaient de véritables pouvoirs civils, telles que des fonctions de police et de gestion municipale[22]. Au Moyen Âge aussi, les universitaires en Europe étaient exemptés de diverses obligations civiles et militaires, et jouissaient d’immunités judiciaires[23]. En reprenant les catégories du philosophe Pierre Manent relativement aux formes politiques, on pourrait dire que l’université apparaît dans un contexte de civilisation où les formes politiques encore dominantes sont l’empire et la cité, soit bien avant que la nation apparaisse comme une forme intermédiaire de synthèse de l’universel et du particulier[24]. Il est aussi utile de rappeler que, pour un théoricien de la souveraineté tel que Thomas Hobbes, les universités, à l’instar des églises et des entreprises, sont des « systèmes », soit des organisations qui rassemblent des personnes unies « par un intérêt ou une affaire[25] », et que, pour lui, le pouvoir de fixer les doctrines établies, de départager ce qu’il faut croire de ce qu’il faut condamner est une prérogative du pouvoir souverain. En somme, l’université serait une corporation privée, voisine du commerce et de la propagation de la foi, qui recevrait du pouvoir souverain la prérogative d’arbitrer les doctrines du croire. L’université exercerait ce magistère suprême comme l’État bat la monnaie et commande aux armées.

Ces rappels historiques et juridiques mettent ainsi en perspective la relation particulière qui s’est nouée entre l’état québécois et ses universités, marquée longtemps par l’abstention du premier, et par l’emprise de l’Église et de la communauté anglo-protestante sur ces dernières. Après 1867, on ne recourra plus à l’incorporation par octroi de charte royale. Les nouvelles universités acquerront leur charte par loi spéciale de l’Assemblée législative, comme l’Université de Sherbrooke en 1954 ou l’Université Concordia en 1974[26], ou naîtront par lettres patentes émises en vertu d’une loi constitutive, comme ce fut le cas des universités constituantes du réseau de l’Université du Québec et des instituts et des écoles supérieures de cette même université[27]. L’Université Laval, née d’une charte royale, en recevra une nouvelle par loi spéciale en 1970[28], et l’Université de Montréal obtiendra une seconde charte civile en 1950 qui maintiendra toutefois le caractère catholique de l’institution. Or, fait fondamental, l’état québécois mettra un siècle avant de faire de l’enseignement supérieur une question d’intérêt public, méritant son action soutenue. Avant la création du ministère de l’Éducation en 1964, qui comportait timidement une direction générale de l’enseignement supérieur, l’essentiel du système universitaire était déjà formé, issu du double adoubement de la croix et de la couronne. Un Conseil des universités ainsi que l’Université du Québec virent le jour en 1968; des « fonds » furent créés en 1985 pour soutenir la recherche; l’enseignement supérieur devint un ministère distinct la même année[29]. Ce n’est qu’en 1989 que l’Assemblée nationale a adopté une loi générale qui lui réserve le pouvoir exclusif de reconnaître les institutions universitaires au Québec; cette loi en donne la liste, sans rien changer à leur statut existant. Ce n’est qu’en 1989 également que le ministre de l’Enseignement supérieur a reçu une panoplie de pouvoirs importants à l’égard des universités québécoises, mais sans rien enlever à leur très grande autonomie[30]. Il n’existe toujours pas, jusqu’à aujourd’hui, de loi-cadre sur les universités, qui en préciserait le statut, les missions, les règles de fonctionnement. Chaque université est renvoyée à ses statuts, à sa charte, à ses lettres patentes et à sa bulle normative, sans qu’il semble nécessaire de clarifier cet ensemble disparate, ni de l’ordonner à des principes et des règles communs.

La création de l’Université du Québec en 1968 a ajouté à la complexité du système universitaire. Était ainsi institué un réseau d’universités publiques, mais non point d’état, chacune dotée de sa personnalité juridique distincte, de son patrimoine, de son régime de relations de travail et de ses particularités institutionnelles. Alors que la création de cette université publique aurait pu être l’occasion de mettre en place un système national de la recherche et du professorat, le législateur a préféré reconduire la logique de fragmentation centrifuge déjà présente dans le système universitaire hérité du siècle précédent. Le résultat d’ensemble est que les universités québécoises, constituées diversement, n’ont pas exactement les mêmes pouvoirs. Pensons à l’université « catholique » de Sherbrooke, « érigée par un décret canonique[31] », qui possède selon sa charte constitutive le pouvoir de « conclure avec toute autorité publique des arrangements de nature à favoriser la poursuite de ses fins[32] », c’est-à-dire un jus contrahendi élargi, alors que les autres universités ont le pouvoir de conclure des ententes seulement avec d’autres établissements d’enseignement, comme si cette université érigée sur un modèle pontifical était une puissance apte à transiger directement avec les États.

Selon Lajoie et Gamache, les universités ont un statut hybride, qui reflète leur caractère particulier dans le paysage institutionnel québécois. Juridiquement, plusieurs sont des corporations privées, qui se comportent et se voient même comme telles, ainsi que l’a montré l’Université de Montréal pendant le printemps 2012, qui a invoqué son caractère de corporation privée, comparable en cela à un centre commercial, pour exiger l’expulsion des étudiants qui occupaient ses locaux[33]. Par ailleurs, en raison de l’importance du financement public qu’elles reçoivent et des divers contrôles et normes d’intérêt public qui s’appliquent à elles, elles ont aussi une dimension publique leur conférant, à tout le moins, un statut hybride. D’ailleurs, l’article 1 des Statuts de l’Université de Sherbrooke énonce bien la nature mixte de l’université, qui est « une institution privée d’intérêt public ».

Dans un jugement rendu en 1990, la Cour suprême a toutefois insisté sur le caractère privé des universités au Canada. Dans une affaire où l’on plaidait que la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquait à l’Université de Guelph, en Ontario, dont on contestait la politique de mise à la retraite obligatoire, une majorité de juges a décidé que l’université, bien qu’elle soit créée par la loi et fournisse un service public, ne peut être considérée comme une entité gouvernementale et qu’elle échappe donc à l’application de la Charte canadienne. C’est donc dire que pour les juges, les relations de travail d’une université relèvent du domaine privé – l’université, à titre de corps privé autonome, étant comparable à une compagnie de chemin de fer, à un transporteur aérien, à un orchestre symphonique ou à une école d’apprentissage[34]. Cependant, cet arrêt de la Cour suprême, bien qu’il minimise la dimension publique du rôle assumé par les universités, n’interdit pas au législateur de changer leur statut ou de renforcer cette même dimension, pourvu qu’il n’entre pas dans la gestion interne de ces établissements, comme l’embauche et le renvoi du personnel, et qu’il respecte la liberté académique des professeurs.

En clair, si sur le plan légal les universités sont des entités subordonnées, à l’instar des municipalités, aux lois de l’Assemblée nationale, l’état québécois traite ses universités comme s’il transigeait avec des entités paraétatiques, nanties de certains attributs de la puissance publique conférés par des instances qui lui sont extérieures, sinon étrangères à lui[35]. Reprenant les analyses du théoricien du nationalisme Ernest Gellner, qui liait l’émergence de celui-ci à la prise en charge par l’État de l’exo-éducation, soit l’éducation formelle de la population en dehors de communautés primaires, j’ai déjà qualifié l’état québécois d’état-ombre, parce qu’il tarda longtemps à prendre le relais de l’Église dans la dispensation d’une instruction publique[36]. En réalité, l’état québécois, qui a certes multiplié ses interventions auprès des universités depuis Duplessis[37], n’est pas sorti de ce qu’on pourrait appeler un rôle supplétif ou subsidiaire, c’est-à-dire que, bien loin de tenter de réorganiser le monde universitaire et de le réorienter vers de nouvelles fins collectivement déterminées, il s’est contenté d’accroître son soutien financier à son égard, assorti de contrôles bureaucratiques, et d’ajouter, au besoin, de nouveaux établissements sans remettre en question les précédents et les acquis. Il a fait fond sur un univers institutionnel qui le précède, en en reconduisant les lignes de fracture et l’antériorité symbolique et historique. Les universités québécoises ne vivent évidemment plus à l’ère médiévale; cependant, il est remarquable que par le mode, encore actif, de leur institution, elles empruntent toujours au langage du corporatisme médiéval.

Profitant de la relative passivité de l’état québécois envers ses universités, l’État fédéral s’est progressivement octroyé à leur égard un rôle d’orientation stratégique et de financement. Dès le début des années 1950, à la suite des recommandations de la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences – la commission Massey-Lévesque –, et fort de l’appui de l’Université McGill[38], il entreprit de verser directement des subventions aux universités. L’opposition de Duplessis à ses subventions surmontée une fois Paul Sauvé au pouvoir en 1959, le gouvernement fédéral put mettre en place un régime de subventions intégré à un programme cofinancé de financement de l’éducation postsecondaire. En réformant en 1994 les programmes de transferts pour les fondre en un seul, le gouvernement de Jean Chrétien en réduisit la proportion consacrée à l’éducation postsecondaire; ainsi, entre 1992-1993 et 2012-2013, les transferts fédéraux pour l’enseignement postsecondaire ont baissé de 50 %, si on les exprime en pourcentage du produit intérieur brut (PIB)[39]. Ce qui a eu également pour conséquence de réduire de 50 % la part des transferts fédéraux dans les budgets provinciaux affectés à ce titre – entre 1990 et 2004 – et d’inciter les états provinciaux à hausser considérablement leurs droits de scolarité pour combler le manque à gagner[40]. La conséquence globale de toutes ces compressions a été de diminuer la part du financement public dans les ressources des établissements postsecondaires, qui a chuté de 84 % à 55 % entre 1981 et 2011[41]. Ce faisant, l’État fédéral a pu mieux cibler le versement de ses contributions financières, directement aux universités et à leurs étudiants – fondation canadienne pour l’innovation, bourses du millénaire, chaires d’excellence –, en plus du financement de la recherche assuré par quatre conseils subventionnaires. Ainsi, les sommes consacrées directement à l’enseignement postsecondaire ont atteint, en 2004-2005, le double des transferts versés aux États provinciaux en ce domaine[42]. C’est tout dire. Même si plusieurs associations étudiantes, notamment la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), ont dénoncé ce déséquilibre fiscal propre à l’éducation postsecondaire lors du Printemps québécois de 2012, il ne s’est trouvé aucun étudiant pour manifester devant le parlement d’Ottawa, comme si les déterminants de la politique d’État à l’égard des universités paraissaient entièrement sous la coupe du Québec. Autre bel exemple de l’opacité du régime fédéral, qui enchevêtre les rôles mais attribue la responsabilité politique à un seul palier étatique. Alors que l’État fédéral joue à l’orchestrateur de la recherche de pointe, notamment par le moyen de chaires stratégiquement ciblées[43], le Québec s’occupe de l’intendance, en concierge des universités qui ramasse les pots cassés. En ce sens, lorsque James Côté et Anton Allahar, sociologues de l’Université Western Ontario, écrivent que « personne n’a la responsabilité du système universitaire au Canada » et qu’« on ne peut se reposer sur personne pour le réformer, puisqu’au lieu d’une planification centralisée on s’en remet à une myriade de compromis entre les partenaires du système[44] », ils n’ont pas tort. Ce constat, qui vise avant tout le Canada anglais, vaut aussi pour le Québec où, en quelque sorte, les États fédéral et québécois agissent à l’égard des universités de manière oblique, sans jamais prendre de front le système dans son ensemble.

Une autre conséquence de la passivité supplétive de l’état québécois tient dans le fait qu’il a concouru au développement sur son territoire de deux réseaux universitaires concurrents et universellement accessibles : un réseau de langue anglaise, dominé par la prestigieuse Université McGill; et un réseau francophone, où se distinguent les vieilles universités à charte, Montréal et Laval, ainsi que l’Université Sherbrooke, toutes trois munies de riches facultés professionnelles, notamment la médecine, et les universités sectorielles du réseau de l’Université du Québec, dotées d’un nombre plus restreint de disciplines, sans faculté de médecine, et que fréquentent, en plus grande proportion, les étudiants de première génération[45]. En dépit de tous les efforts déployés depuis la Révolution tranquille pour combler le retard du réseau francophone et relever le niveau d’instruction des Québécois de langue française, il est remarquable de constater que la part du financement public touchée par les universités anglophones depuis la fin des années 1960 n’a pas bougé[46], et qu’avant la grève des professeurs de l’UQAM, déclenchée en 2009, les universités McGill et Concordia détenaient 57 % des postes de professeurs dans les quatre universités montréalaises, bien que les inscriptions dans les deux universités francophones fussent équivalentes à 60 % du total des quatre. Mises en concurrence dans un marché aux étudiants financé par les deniers publics, notamment suivant la formule adoptée sous le ministère de François Legault, les universités des deux réseaux ne jouent pas à armes égales. Les universités anglophones recrutent beaucoup de leurs étudiants à l’étranger – à cet égard, McGill bat un record –, au Canada anglais et parmi les Québécois allophones et francophones, alors que les universités francophones attirent beaucoup moins d’étrangers et très peu de Canadiens anglais ou d’Anglo-Québécois.

De toutes les universités québécoises, l’Université McGill est la plus singulière. La charte victorienne de l’institution la constitue en tant que « body politic and corporate », une formule souvent reprise dans le monde anglo-saxon pour fonder une université et qu’on retrouve sous une autre forme pour le Collège Bishop, érigé en « body corporate and politic[47] ». Cependant, cette formulation montre bien toute l’ambiguïté de l’institution. Cette expression fait écho au patient travail des juristes de common law qui ont voulu réduire l’autorité royale pour la penser comme corporation, le corps « politique du roi » se distinguant de sa personne physique[48]. Tant et si bien qu’en Angleterre, juristes et tribunaux finiront par concevoir le roi et ses trois états en « corporation » ou « bodies politic ». Un juge de la Cour suprême américaine reprit cette doctrine pour l’appliquer aux États-Unis, qui sont ainsi « a body politic and corporate, capable of attaining the objects for which it was created[49] ». L’expression semble avoir été utilisée pour la première fois par le conquérant en 1763, dans ses « Instructions au gouverneur Murray[50] ». Elle passera dans le droit du Canada-Uni, puis dans celui de l’état du Québec naissant, rendue en français par le calque « corps politiques et incorporés », dépourvu d’équivalent en droit français, et que le Législateur utilisa pour incorporer des entreprises commerciales, des collèges théologiques protestants et des collèges professionnels. Elle fut aussi introduite dans le Code de procédure civile du Québec, mais sous une formule distinguant « les corps politiques et les corporations », ce qui suscita chez les juristes des gloses multiples[51]. Ce qui voudrait dire que l’État ou l’université, en tant que « body politic and corporate », seraient de même nature et seraient soumis aux mêmes contraintes. Créées directement par la Couronne, avant même la création du Canada en 1867, McGill et Bishop seraient des corps politiques, ou du moins publics, homologues de l’État, disposant de tous les privilèges réservés aux universités britanniques à l’époque de leur création. Autre élément d’exceptionnalité : l’Université McGill, à l’instar des deux autres universités anglophones, n’est pas expressément soumise au Code civil du Québec[52], ce qui accréditerait l’idée qu’elle n’est pas qu’une simple corporation civile. Elle s’apparente plutôt à ce qu’on pourrait appeler une principauté ou un municipe universitaire, qui a créé une espèce de canton (township) sui generis au centre-ville de Montréal[53]. Riche d’un important parc immobilier et de subventions de recherche considérables, fortifiée du mécénat de la bourgeoisie anglo-montréalaise inspiré de la philanthropie des grandes universités privées américaines[54], cette université municipe enclavée au cœur de Montréal déploie son vaste domaine par-delà la ville et annexe de facto une partie névralgique de la métropole au monde anglo-américain.

McGill prend ainsi la tête d’un réseau éducatif anglophone, dont l’accès, certes restreint jusqu’à la fin du secondaire, s’élargit à l’ensemble des collégiens, peu importe la langue de scolarisation, comme si, au niveau universitaire, l’anglais et le français étaient chacune à égalité et au « choix » des étudiants des langues d’intégration nationale, grâce au concours de l’état québécois lui-même. Ce bilinguisme concurrentiel au niveau postsecondaire contredit magnifiquement l’unilinguisme obligatoire, mais non point intégral, observé dans les deux premiers cycles depuis l’adoption de la loi 101 en 1977.

On aurait pu penser que le rapport déposé en septembre 2013 par Lise Bissonnette et John Porter sur le chantier d’une loi-cadre des universités eût révélé la disparate de l’institution universitaire au Québec et apporté des solutions aussi bien adaptées qu’audacieuses. Seulement, leur étude n’est précédée d’aucune enquête historique approfondie sur l’évolution de l’institution universitaire, se contentant d’observer l’existence de la distinction entre universités à charte et universités publiques régies par la Loi sur l’Université du Québec. Si les deux commissaires recommandent l’adoption d’une loi-cadre générale qui énonce la mission des universités, les valeurs qu’elles doivent défendre et uniformise leur statut, on peut se demander s’ils ont pu saisir toute l’ampleur et la complexité des problèmes auxquels ils se sont attelés. Ainsi, ils proposent d’inscrire, dans le préambule de cette loi-cadre, la mission suivante :

L’université est, au sein de la société québécoise, l’institution fiduciaire des

acquis et du développement d’une culture du savoir et des savoirs dont elle assure

librement, au premier rang, la création, la transmission, la démocratisation et la

critique des usages[55].

 

Ce libellé est plutôt surprenant. Tout d’abord, l’université est située « au sein de la société québécoise », comme s’il s’agissait d’une simple localisation géographique contingente qui a peu à voir avec la mission même de l’institution universitaire. Ensuite, il présente celle-ci comme « fiduciaire » d’un certain nombre d’éléments. Or, la fiducie appartient à l’univers du droit privé, et c’est l’équivalent, en droit civil, du trust anglo-saxon, ce qui connote l’idée que les universités sont des corporations privées, dont les agents fiduciaires administrent les biens pour des bénéficiaires. Par ailleurs, s’ils souhaitent que la nouvelle loi-cadre s’applique à toutes les universités, quel que soit leur mode d’incorporation, afin de créer un seul réseau public, les commissaires ne semblent pas proposer pour autant l’abolition des vieilles chartes universitaires, qui continueraient d’exister; en fait, c’est plutôt le réseau de l’Université du Québec qui disparaîtrait, dont chacun des établissements obtiendrait une pleine autonomie. Les commissaires recommandent, par ailleurs, que l’état consacre son engagement à respecter les valeurs inscrites dans la loi-cadre; c’est là utiliser un langage contractuel, comme si l’état transigeait avec des puissances extérieures à lui. Enfin, cédant à la doxa du jour, les commissaires proposent que la loi-cadre fasse obligation aux universités d’adopter un code de pratiques qui règle leur gouvernance.

L’université dans la société démocratique contemporaine

Étudions maintenant l’université sous un angle plus général, et, en cela, l’université québécoise n’est pas très différente – si on fait abstraction de son mode d’institution – des autres universités en Occident. Dans plusieurs sociétés, l’université, qui avait été longtemps réservée à une élite restreinte, s’est élargie à des masses étudiantes, résultat à la fois du boom démographique de l’après-guerre, des progrès de la scolarisation et de la démocratisation de l’accès aux études supérieures. Puis, l’université elle-même est devenue un lieu de contestation et de revendication, tantôt comme objet même de cette contestation, depuis l’Université Berkeley jusqu’aux barricades de Mai 68, tantôt comme tremplin et lieu d’incubation de cette contestation. Si bien que pour plusieurs penseurs qui interprétèrent le sens de la révolte étudiante de Mai 68, la jeunesse universitaire était appelée, à la faveur de la massification des inscriptions, à remplacer la classe ouvrière comme nouvel agent de l’Histoire[56]. Pendant cette période de contestation, on a rêvé une nouvelle université, démocratique, autogestionnaire, délivrée du joug de la tradition et des hiérarchies aussi inutiles que contraires au nouvel esprit du temps. Même si on peut mettre en doute le rapprochement entre Mai 68 et le Printemps québécois de 2012 que d’aucuns ont établi[57], on ne peut qu’être frappé par certaines similitudes entre les deux événements, notamment l’ambition portée par une partie de la jeunesse d’instaurer et de faire entendre une « démocratie étudiante » concurrente de la démocratie parlementaire.

Les sciences sociales et la philosophie utilisent souvent l’expression « société démocratique » ou « démocratie libérale » pour décrire ou bien les régimes politiques contemporains ou bien la société dans son ensemble. Mais parler de démocratie en visant l’État ou la société ne veut pas dire nécessairement que toutes les institutions sociales et intermédiaires que renferment l’État ou la société sont organisées suivant le principe démocratique. Plusieurs d’entre elles, de la famille à l’entreprise capitaliste, échappent à la logique démocratique, même si un démographe, comme Emmanuel Todd, a pu parler d’un certain type de famille existant en France, la famille égalitaire[58], et si d’aucuns ont déjà préconisé la démocratie industrielle[59]. Il n’empêche que le gouvernement des parents sur leurs enfants, ou celui de dirigeants d’entreprise sur leurs employés, équivaut difficilement à celui de la démocratie, sauf à transformer radicalement celle-ci en coopérative strictement égalitaire.

L’université entre aussi dans la catégorie des formations sociales intermédiaires non démocratiques dans leur principe même, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, si l’on observe leur mode d’institution, nombre d’universités ne doivent pas leur existence à une décision démocratique : plusieurs ont été le fait du pouvoir royal et de l’Église, bien que, de toute évidence, il ait été loisible à tout État démocratique de créer des universités. Ensuite, l’université suppose une hiérarchie entre les savoirs, les épistémès, les doctrines et les croyances; cette hiérarchie ne relève pas d’une décision démocratique et découle plutôt de la tradition et des corps restreints des pairs reconnus dans les disciplines. Au contraire de la démocratie électorale, qui repose sur le principe « une personne, un vote », l’université ne donne pas à tout un chacun un droit automatique au diplôme; si elle confère un quelconque droit, c’est à chacun la possibilité d’en obtenir un, suivant ses talents et sa capacité à satisfaire aux exigences dudit diplôme. Bien que l’université se réclame aujourd’hui de l’égalité des chances, elle reproduit, selon plusieurs, l’inégalité des talents, des capacités et des intérêts, ainsi que des fortunes, puisque encore aujourd’hui, les classes les plus nanties semblent accéder plus facilement à l’université. Le mode de recrutement des universitaires ne sollicite pas le vote des étudiants; il procède par cooptation au sein des départements suivant diverses modalités ou par concours national dans les pays dont l’organisation universitaire est plus centralisée. Enfin, la gestion interne des universités ressemble souvent à un système autocratique tempéré : autocratie du recteur – ou du président – ou du doyen de faculté, limitée par le contrepoids d’instances internes élargies regroupant les professeurs et les autres acteurs de l’institution[60].

Selon Guy Haarscher, l’université est au mieux une institution aristocratique, c’est-à-dire qu’elle sélectionne et forme les meilleurs – les aristoi – suivant des critères légitimes, au pire, une institution oligarchique, qui « incarne simplement la domination de fait, et non de droit, d’une minorité plus riche, plus puissante, etc.[61] ». Reprenant les termes de Benjamin Barber[62], l’auteur estime que l’université serait une « aristocratie pour tout le monde », c’est-à-dire une « aristocratie démocratique ». Haarscher ajoute ceci

[l]’université incarne, dans nos sociétés égalitaires, la seule aristocratie vraiment légitime : celle du mérite, de l’effort et des compétences. J’ai dit « aristocratie dans la démocratie » : c’est dire qu’il faut assumer une tension, féconde à condition qu’on la comprenne bien et qu’on en tire les conséquences les plus « créatives », entre cette institution aristocratique et l’environnement démocratique dans lequel elle baigne[63].

 

Sans trop préciser la nature de cette tension, Haarscher craint néanmoins que l’université soit « écartelée » entre les deux termes d’une « alternative » ruineuse : soit devenir une université de masse, dont on imagine que la grande accessibilité se ferait au détriment de la qualité des formations, soit devenir excellente, certes, mais restreinte dans l’accès, donc oligarchique par les inégalités sociales qu’elle reconduit. Si l’on en croit les conditions dans lesquelles se réalise aujourd’hui la recherche, dont les orientations sont dictées de l’extérieur de l’université et que réalisent des « groupes puissants », « peu sensibles à l’idéal de recherche désintéressée et de la libre critique scientifique[64] », l’université serait loin de pouvoir incarner le « lieu même de la démocratie raisonnée », où seul prévaudrait la force du meilleur argument.

La tension qu’évoque Haarscher entre l’université tendanciellement aristocratique ou oligarchique et la société démocratique présente, selon moi, au moins quatre dimensions fondamentales. Premièrement, l’université a longtemps été porteuse de l’idéal des Lumières d’émancipation de l’individu par le relèvement général de l’instruction[65]. Cependant, par sa nature, l’université est sélective et astreint ses étudiants à une course à obstacles étalée sur trois cycles; si loin que l’on pousse l’accès à l’université en démocratie, la formation universitaire finit le plus souvent par être l’apanage d’une minorité, plus ou moins étendue selon les sociétés, quoique quelques-unes d’entre elles voient leur population active posséder une formation universitaire à des pourcentages qui approchent ou dépassent la majorité de la population adulte[66]. Par ailleurs, l’idéal d’émancipation, soit faire passer l’individu de sa minorité à la majorité réflexive et critique, est battu en brèche par une bonne part des universitaires eux-mêmes qui, sous l’influence du postmodernisme[67] ou par adhésion à une vision strictement utilitariste de leur rôle, ne voient plus l’enseignement et la recherche voués à des idéaux aussi exigeants.

Deuxièmement, au sens strict que Vilfredo Pareto donne au terme d’« élite[68] », l’université forme en démocratie les élites dont celle-ci a besoin, et ce, dans toutes les disciplines et dans les professions dont l’université a la charge. L’université ne forme toutefois pas toutes les élites – pensons aux élites sportives –; seulement dans une société qui valorise le savoir ou le « capital humain », considéré par ses économistes comme un facteur de croissance économique[69], beaucoup des élites passent par l’université, en tous domaines : arts, médecine, sciences, médias et communications, économie et gestion, etc. L’université crée donc une méritocratie dont la coexistence avec l’égalité démocratique ne va pas de soi. La formation de ces élites au moyen de l’institution universitaire pose en effet à la démocratie deux problèmes : 1) la formation peut se doubler d’une reconduction, voire d’un renforcement des inégalités sociales préexistantes, de telle sorte que l’université, dont les spécialistes des sciences sociales ont pour tâche de comprendre les ressorts de ces inégalités, ferait elle-même partie du problème qu’il s’agit d’élucider; 2) l’existence de la méritocratie universitaire entraîne aussi qu’une minorité, en vertu de sa formation, aurait un accès privilégié au pouvoir démocratique, ce qui, à première vue, semble se vérifier dans les démocraties contemporaines, où les diplômés universitaires sont généralement surreprésentés dans l’appareil d’État et le personnel politique.

Troisièmement, parce que l’université est extérieure à l’État et à la société politique, elle sert aussi les intérêts de groupes, en dépit de ses professions d’indépendance, qui sont étrangers à la logique démocratique, comme les entreprises et les groupes de pression, dont elle dépend, notamment dans les pays où l’autonomie universitaire va de pair avec l’aide ciblée de bailleurs de fonds privés. Au contraire de l’État, l’université n’est pas astreinte à l’obligation de servir l’intérêt public au nom d’une vaste collectivité de citoyens, peu importe leur degré de scolarisation.

Enfin, les sciences sociales et la philosophie ont dressé un long catalogue de réalités humaines qui menacent, fragilisent, déstabilisent la démocratie : la raison instrumentale, le scientisme, la technoscience, l’emprise des experts, l’économisme, le managérialisme, le néolibéralisme, l’hypermédiatisation, etc. Or, à bien y penser, toutes ces réalités viennent de l’université, d’où elles partent, d’où elles sont conçues et exacerbées, souvent jusqu’à leurs extrêmes limites. Ainsi, ce sont les sciences naturelles et informatiques, de même que le génie qui rationalisent la nature et conçoivent des artefacts et autres machines cybernétiques peuplant aujourd’hui le monde social; ce sont les sciences biologiques et la chimie qui manipulent la matière organique et le vivant; ce sont les écoles de commerce et l’économie qui forment les gestionnaires et les experts du calcul économique; ce sont les facultés de communication et de journalisme qui préparent de jeunes cohortes au maniement des médias de masse, etc. L’université ne se contente pas de diplômer tous ces gens, elle participe directement à l’assujettissement rationnel et technique de l’univers humain en répondant aux diverses commandes des donneurs d’ouvrage que sont l’État, les entreprises et les groupes sociaux. L’université est certes un lieu distinct de la Bourse, de l’entreprise, de l’armée, de la salle des nouvelles, du laboratoire industriel et de l’organisation non gouvernementale militante; seulement, elle les précède tous et les rend en quelque sorte possibles. Que serait le Pentagone sans les universités américaines? Bref, pour toutes ces raisons susmentionnées, le mariage de l’université et de la démocratie ne va pas de soi.

Claude Lefort a insisté sur la « désintrication simultanée du principe du pouvoir, du principe de la loi et du principe du savoir » propre à la modernité libérale, laquelle est le fruit d’un long processus historique ayant vu ces trois instances se séparer, affirmer leur autonomie vis-à-vis des autres et revendiquer une légitimité propre[70]. En ce sens, si on reprend ce schéma tripartite, la démocratie libérale contemporaine formerait un régime mixte dont le pouvoir s’appuierait sur le principe démocratique que tempéreraient, d’une part, les légistes, avocats et juges, interprètes et dispensateurs de la loi, dans sa forme constitutionnelle ou ordinaire[71], et d’autre part, les universitaires arbitres et détenteurs des savoirs, des expertises et des vérités dogmatiques. Ces deux autres instances modératrices agiraient sur la démocratie en suscitant une dynamique ou aristocratique, ou oligarchique, selon qu’elles se fondent sur un principe d’excellence légitime aux yeux de la démocratie ou qu’elles défendent les intérêts d’un petit nombre au détriment du grand nombre. À sa manière, Marcel Proust a su poser cette question : « Enfin une société ne serait-elle pas secrètement hiérarchisée au fur et à mesure qu’elle serait en fait plus démocratique[72]? » Or les universitaires, en général, n’aiment pas trop penser ou admettre leur extériorité au principe démocratique, dont ils se croient, de bonne foi, les porte-flambeaux autorisés. C’est pourquoi le rapport de l’université à la démocratie a toujours été une matière délicate et contentieuse, car la tension entre les deux, toujours irrésolue malgré toutes les tentatives pour l’atténuer ou la résoudre, a suscité des débats qui font toujours rage aujourd’hui, dont le Printemps québécois de 2012 a donné une illustration éloquente, par la crainte portée par les étudiants et plusieurs professeurs que l’université québécoise ne connaisse une dérive oligarchique[73].

Dans une analyse de la pensée de Jean-Jacques Rousseau, Yves Couture observait comment le philosophe tentait de réconcilier l’existence même de hiérarchies dans l’univers social avec le principe démocratique, de telle sorte que la persistance de telles hiérarchies, problématiques au regard de ce principe, devait être « neutralisée » par diverses stratégies et concessions discursives[74]. Mutatis mutandis, on pourrait dire que la réconciliation de l’université, à l’origine d’une multitude de hiérarchies dans l’ordre du savoir, et de la démocratie, connaît à son tour de multiples « neutralisations » qui, sans faire disparaître le hiatus entre les deux, l’amoindrissent, le dissimulent ou le rendent plus acceptable socialement.

La première de ces neutralisations est ce que j’appellerais la « déformalisation »[75]. N’oublions pas que, jusqu’à Mai 68, l’université a été, en Europe du moins, le bastion du traditionalisme, où de vieilles coutumes médiévales mettaient le professeur sur un piédestal, entouré d’un décorum, de rites, voire d’exigences vestimentaires – le port de la toge en chaire – qui accentuaient la béance hiérarchique entre les docteurs consacrés par l’institution et les prétendants au savoir[76]. Depuis Mai 68, plusieurs universités, en France, comme ailleurs en Europe, ont fait litière de ces formalismes anciens, qui subsistent encore dans les universités britanniques à charte royale (Oxford et Cambridge). Sur les campus américains, cette déformalisation avait débuté bien avant Mai 68. La création de l’UQAM en 1969 était révélatrice de ce nouvel esprit universitaire déformalisé qui se réclamerait d’une vision égalitaire, autogestionnaire et publique de l’université, qui tournerait le dos à ces rites surannés et qui ferait participer les étudiants et les professeurs à l’administration universitaire[77]. L’enseignement y ferait même l’objet d’une entente d’évaluation préalable entre l’enseignant et le groupe-cours qui substituerait à l’unilatéralisme souverain du premier un contractualisme égalitaire entre deux parties. Cela dit, si loin que l’on pousse la déformalisation, la participation étudiante et le contractualisme pédagogique, le fait d’enseigner en jeans et en tee-shirt, d’afficher sur soi les bigarrures de la culture pop, escamote difficilement l’inégalité de principe entre l’enseignant et sa classe, ainsi que l’autorité qui confère au premier la faculté de discriminer les meilleures copies des moins bonnes.

L’autre neutralisation est, bien sûr, le souci légitime, à la fois théorique et éthique, que nourrissent nombre d’universitaires d’accorder l’université avec l’égalité des chances. C’est là un vieux débat – mais toujours actuel – qui part du constat, fait notamment par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron en 1964, que l’université, loin de diffuser les lumières de manière neutre, privilégie les enfants issus de familles détenant déjà un grand capital culturel et social, et reproduit donc les inégalités sociales[78]. L’universitaire s’investit alors de la mission de mettre au jour les mécanismes mentaux et sociaux à l’origine de ces inégalités et de défendre des politiques d’éducation qui les corrigent. D’autres préfèrent théoriser l’égalité des chances, qu’ils font découler des principes de justice dégagés par John Rawls, dont la réalisation passerait par la gratuité scolaire[79]. Force est de constater qu’il n’existe pas d’unanimité parmi les universitaires eux-mêmes sur les moyens de réaliser l’égalité des chances – gratuité scolaire, droits de scolarité modulés, programme de bourses généreux –, comme on l’a vu lors du printemps 2012.

Qui plus est, les débats sur l’égalité des chances à l’université s’accompagnent souvent de prises à partie acrimonieuses sur la vocation même de l’université, où l’on voit, d’un côté, des universitaires clamer ouvertement le caractère aristocratique de l’université, qui doit faire contrepoids au relativisme engendré par la démocratie qui égalise les croyances et les statuts – pensons aux thèses d’Allan Bloom, élève de Léo Strauss[80] – et, de l’autre, des accusateurs, eux-mêmes issus du sérail universitaire, qui ont reproché à Bloom et à ses acolytes leur élitisme antidémocratique. Bloom est sans doute l’un de ceux qui a revendiqué le plus clairement l’indépendance et l’extériorité de l’université relativement à la démocratie, dont elle est un temple distant, où l’on est exempté de l’obligation de servir immédiatement la société, et dont la principale mission est de « protéger la raison contre elle-même en offrant un modèle de véritable ouverture d’esprit[81] ». En cela, c’est pour prévenir ou guérir la cécité « théorique » de la démocratie que l’université doit exister, « non pour établir une aristocratie, mais pour sauvegarder la démocratie elle-même, pour sauvegarder la liberté de l’esprit[82] ». Comme le souligne Justine Lacroix, ces débats illustrent le fait qu’au sein de l’université l’élitisme est diabolisé[83], et que les accusateurs d’élitisme commettent en fait une « tartuferie égalitaire », « qui consiste à pratiquer l’élitisme sans le dire[84] », moins saine selon elle que « l’élitisme assumé » de Bloom. De plus, ce genre d’accusation d’élitisme, proférée depuis quelque perchoir inquisitoire, révèle aussi le sectarisme des accusateurs qui, en voulant départager, en vertu d’une science infuse dont ils sont les clercs, les intellectuels légitimes des intellectuels infréquentables, se comportent en parfaits oligarques rétenteurs, obsédés par le contrôle de l’énonciation du bien et du juste dans leur discipline.

Bloom insistait sur le fait qu’au nom des idéaux démocratiques mêmes, l’université doit résister à l’idée de se mettre au service de la société. Cependant, quand on observe l’évolution de l’université contemporaine, c’est exactement l’inverse qui est survenu : il n’est de service qu’on ne demande à l’université qui, devenue un « supermarché » de services[85], doit présenter à la société des comptes et des gages qui attestent sa pertinence sociale et économique[86]. C’est sans doute là une autre forme de neutralisation de l’université, contrainte d’être à l’affût de fonds, publics et privés, pour financer des activités de plus en plus coûteuses et maintenir les conditions de travail généralement avantageuses de ses professeurs – à l’exclusion de ses chargés de cours et autres vacataires sous-payés. Cette reddition de comptes touche jusqu’à l’évaluation des demandes de subventions qui intègre la dimension « retombée sociale », comme si un projet de recherche ne pouvait se justifier seulement par des critères scientifiques. Ainsi, les États nouent avec leurs universités une entente implicite : en échange de grandes ressources, les universités doivent en retour se soumettre à des contrôles bureaucratiques, et soumettre une certaine part de leur liberté académique aux orientations fixées par les acteurs publics et privés. Chaque État négocie avec ses universités le point d’équilibre de cet échange, eu égard au système postsecondaire, aux traditions, aux pratiques nationales, etc. Au Canada, les états concluent avec les universités des contrats de performance qui leur concèdent l’autonomie « à condition que soit démontrée, par une production quantifiable, la réceptivité envers les exigences du marché[87] ». D’où la revendication par plusieurs universitaires d’une recherche libre[88], ou d’une autonomie de gestion, mise à mal dans l’université contemporaine devenue cliente de l’industrie et de l’État.

Enfin, sur le plan épistémologique, l’université est « neutralisée » par le développement, en sciences sociales et en philosophie, de théories critiques qui contestent la division classique entre opinion et science, croyance et savoir, objectivité et subjectivité, de même que le primat de la raison et du logos, ou qui désacralisent la quête du savoir, la libido sciendi, laquelle camoufle des luttes de pouvoir et de distinction. On pense au postmodernisme, au déconstructivisme, au poststructuralisme, ainsi qu’à certains courants de la sociologie et de la science politique. Au Canada anglais, selon James Côté et Anton Allahar, on a vu des universitaires postmodernistes s’attaquer à la vision moderne et classique de l’université, trop centrée sur la culture du mâle occidental, blanc, hétérosexuel et petit bourgeois; ce sont ainsi engagées des « guerres académiques » (cultural wars) semblables à celles qui avaient agité les campus américains[89]. En s’attaquant à ces distinctions et à ces notions centrales dans le discours savant, de même qu’à l’idée de culture, qui perd « sa signification propre[90] » et cesse alors d’être la principale mission de l’université, c’est un peu à la prééminence même du savoir universitaire que l’on s’en prend, et à sa séparation du monde profane, bien que souvent les tenants de ces théories critiques prétendent prendre leur distance d’avec le sens commun. Ce sont aussi l’indépendance de la raison, l’émancipation contre le préjugé et l’ignorance qui cessent de faire rêver, et la foi dans les grandes synthèses, les théories en forme de cathédrale cèdent la place aux échoppes du micro récit et des théories sceptiques qui désenchantent la science[91]. De plus, sous l’influence du postmodernisme et aussi de théories sur la nature du travail scientifique – de Thomas Kuhn à Karl Popper –, l’université a cessé progressivement de se penser comme institution, destinée à la transmission du savoir et à la formation de la pensée critique, pour devenir une organisation efficiente, à mettre sur le même plan que les autres organisations de la société, si bien que l’université tend à s’extravertir dans la société, et celle-ci à s’introvertir dans celle-là, ainsi que l’a souligné Michel Freitag dans Le naufrage de l’université[92] 

De la multiversité québécoise

L’idée qui décrit le mieux, à mon sens, ce qu’est devenue l’université contemporaine, au Québec et à l’étranger, en tant que forme organisationnelle qui a supplanté sa vieille vocation d’institution, est celle de multiversité, lancée pour la première fois par le président de l’Université Berkeley, Clark Kerr, en 1964[93]. Je ne reprendrai pas ici toutes les analyses que j’ai déjà faites sur cette question[94]. Il suffit de rappeler que pour Clark Kerr, la nouvelle université qu’il voyait émerger aux États-Unis et se répandre dans le monde, était une communauté hétéroclite constituée d’une multitude de sous-communautés aux intérêts divers et opposés, sans frontières précises entre ses activités propres et celles de la société à laquelle elle rend de multiples « services ». Au fond, la multiversité est une institution « incohérente », sans unité de principe ou de finalité, néanmoins opérationnelle grâce à « une série d’enchaînements produisant une série de résultats : un mécanisme assemblé par des règles administratives et rendu puissant par l’argent[95] ». Trouvant donc son efficacité dans ses rouages organisationnels, la multiversité ressemble à un mini-État, un système de gouvernement, dominé par les managers qui gèrent l’expansion de l’organisation, et ses liens étroits avec l’industrie et l’État sans les subsides desquels elle ne peut survivre, et qui exercent la réalité du pouvoir. La multiversité est accommodante, car elle intègre tout, y compris les humanistes, mêlés aux chercheurs en sciences naturelles et sociales qui travaillent sur le mode dominant de l’entrepreneur industriel. Accommodante, la multiversité l’est également parce qu’elle enseigne tous les savoirs, professionnels, techniques ou théoriques, selon les desiderata de sa clientèle, et délivre toute une panoplie de diplômes, en épousant allègrement les tendances nouvelles.

Comme je l’ai souligné ailleurs, les recteurs québécois, dans un document de la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) publié en 1996, ont adhéré explicitement à la vision multiversitaire de Kerr, qui décrit fort bien le fonctionnement actuel des universités québécoises[96]. Plus étonnant encore, ce sont les recteurs qui ont commandé la justification théorique de la multiversité, soit le fameux rapport de Jean-François Lyotard sur le « savoir dans les sociétés industrielles les plus développées », republié en France sous le titre La condition postmoderne, qui est, on l’oublie souvent, un petit traité sur l’université contemporaine[97]. Tout ce que Lyotard dit du nouveau régime de l’université émergeant dans les sociétés développées avait déjà été esquissé par Kerr, à la différence toutefois que Lyotard rattache cette évolution organisationnelle à un nouvel ordre épistémologique – où il n’y a désormais ni vérité à poursuivre ni émancipation à espérer –, régi par la seule recherche de la performativité des divers jeux de langage qu’abrite l’université. Ainsi vouée à s’adapter fonctionnellement aux demandes des pouvoirs publics et privés, elle leur fournit les recrues dont ils ont besoin. Alors que Lyotard semble applaudir à la vétusté de l’université humaniste et libérale, qui en France s’est massifiée pour parquer de futurs chômeurs en surnombre, il tourne ses regards vers la reproduction « élargie » du savoir, par petits groupes où se pratique un « égalitarisme aristocratique », fonction noble à laquelle se greffent les fonctions plus prosaïques de la formation professionnelle et du recyclage. Sans état d’âme, Lyotard destine l’université à n’être que l’instrument et l’objet de la lutte entre les États-nations pour le prestige et la puissance.

Michel Freitag est sans doute l’universitaire québécois qui a servi à la multiversité postmoderne la plus cinglante des critiques, bien qu’il n’ait guère employé le terme dans ses analyses. Il reproche à l’université sa mutation en simple organisation de moyens, où la recherche détrône l’enseignement, alors que l’université avait été d’abord une institution séparée de la société où s’élaboraient des savoirs théoriques et synthétiques en vue de « l’unité réfléchie » de la science et de la culture. Seule compte dans l’université la performativité des procédés dont ses chercheurs, comptables de leur paradigme, perfectionnent la mise au point, au service de n’importe quel objectif, sans s’interroger sur le sens et la sagesse de leur activité. Sans distance avec la société dont elle se dit le relais, elle exalte néanmoins un social autofondé, autoréférentiel qui se dispense de la poursuite du bien commun dans un espace véritablement public.

Cependant, si justes que soient les critiques de Freitag à l’encontre de l’université contemporaine – dont j’ai donné un aperçu très partiel –, elles semblent laisser peu de place à toute idée de l’université qui ne soit sa version classique, libérale et humaniste. Au vrai, lorsque Freitag envisage la forme que devrait prendre l’université conforme à ses vues, il semble avoir en tête une université réduite essentiellement aux savoirs théoriques, sinon aux sciences sociales et à la philosophie, axée sur la formation à la discipline et délestée des tâches de gestion et de la recherche lourde. Ce serait en quelque sorte une espèce d’École des hautes études, où officieraient des professeurs-enseignants se tenant loin des laboratoires et des équipes multidisciplinaires de recherche. Mais que faire alors des médecins, des chimistes, des ergothérapeutes, des ingénieurs, des agronomes, des dentistes, des psychologues, des biologistes et des informaticiens? Tout plaidoyer en faveur de l’université humaniste est confronté à cette alternative : ou bien préconiser un idéal séparatiste, une université entièrement dédiée aux humanités et aux sciences sociales, à supposer qu’une telle chose soit souhaitable et réalisable, ou bien concilier l’existence de l’humanisme dans l’université avec d’autres missions, d’autres savoirs.

À mon sens, ce qui fait la puissance de séduction de la multiversité postmoderne actuelle, c’est que son incohérence et son pluralisme de diplômes et de visions épistémiques dispensent les décideurs et les universitaires eux-mêmes d’avoir à se prononcer sur les finalités de leur organisation qui semble tout embrasser. D’une certaine manière, la multiversité cumule toutes les idées de l’université, les cinq dont Claude Corbo a traité dans son anthologie. Ce qui ne veut pas dire que la coexistence entre ces diverses idées de l’université est aisée, tant s’en faut; elle couvre des tensions immenses, d’âpres luttes d’influence, que le ronron des discours officiels prononcés par les directions universitaires tente de masquer de riantes perspectives.

La multiversité est tout d’abord fonctionnelle et adaptative, selon les termes de Kerr et de Lyotard. C’est la vision dominante auprès des pouvoirs publics et privés, des directions universitaires et d’une bonne partie des universitaires dont la recherche, prépondérante dans leur travail, s’insère dans un système industriel qui subordonne la production scientifique à l’atteinte de retombées sociales et économiques. L’université devient, comme le souligne Corbo à propos de sa vision fonctionnelle, un « rouage majeur d’une économie et d’une société fondées de plus en plus sur le savoir[98] ». La recherche y prend une place prépondérante, au détriment de l’enseignement, et doit viser l’innovation, plutôt que la synthèse théorique, par le progrès des connaissances appliquées[99]. L’universitaire lui-même devient un entrepreneur, dont les activités sont considérées comme des « opérations de transformation de ressources » au sein d’une organisation de recherche dont la productivité devient commensurable à celle de tout autre organisation[100]. S’agissant de la production scientifique contemporaine, certains auteurs ont parlé de science « postuniversitaire[101] » ou de capitalisme universitaire (academic capitalism)[102], expressions qui signalent bien que la science contemporaine, qui est le fait de groupes organisés commandités par l’industrie et l’État, ne sert plus des fins prédéterminées de l’intérieur de l’institution universitaire; cette science mime en fait les processus et la rationalité typiques du marché supposément libre et concurrentiel. Les sciences sociales sont moins sous l’emprise – pour l’instant – de ces évolutions, quoique la vision positiviste, quantitativiste et explicative du savoir, calquée sur le modèle des sciences naturelles et en vogue dans le monde anglo-saxon, y fasse des avancées notables. Ultimement, à l’ère de la multiversité mondialisée, ce que les Anglo-Saxons dénomment la « global multiversity », l’éducation supérieure devient une entreprise supranationale de production de biens de nature privée, et non plus publique, dont l’État devient un adversaire, et non plus un partenaire[103].

L’idée humaniste de l’université n’est pas morte; des professeurs la défendent encore, la gardent vivante dans leurs enseignements et leurs écrits, bien qu’ils soient de plus en plus isolés dans une organisation où ils paraissent de charmantes reliques d’un monde passé. Certaines universités ont tenté de la faire revivre, quoique modestement, sous la forme de programmes dédiés à l’étude des grandes œuvres classiques[104]. Le Printemps québécois de 2012 a été l’occasion de voir renaître une défense de l’université libérale, dans la mesure où des voix critiques de l’université-entreprise ont insisté sur la culture générale que devrait prodiguer l’institution, censée former des citoyens éclairés. C’est donc une conception engagée de l’université libérale qui s’est fait entendre, qu’on peut distinguer, selon Côté et Allahar, d’une vision plus classique, qui tient à mettre à distance l’université de la société et des militantismes, au nom d’un idéal de neutralité du savant[105]. Cette résurgence d’une vision humaniste engagée de l’université s’explique peut-être par le hiatus qui sépare le monde du cégep, où l’héritage des humanités classiques est porté par l’enseignement obligatoire de la philosophie et de la littérature, et celui de l’université, où cet héritage est très partiellement relayé par quelques départements (sciences humaines, littérature et philosophie) eux-mêmes tentés de s’en défaire ou de le reléguer à quelques cours optionnels, comme si l’université québécoise devait étouffer ce que le cégep avait semé avant elle. Sans compter que le monopole accordé aux facultés de pédagogie sur la formation des enseignants écarte de facto de l’enseignement au secondaire les diplômés dans les humanités et les sciences sociales, à moins qu’ils n’acquièrent, en plus de leur formation, un fastidieux baccalauréat en pédagogie de quatre ans. De plus, il est frappant de constater, si on compare le débat sur l’enseignement supérieur au Québec à celui qu’a connu le Canada anglais, qu’on a vu peu de vigoureux plaidoyers se publier au Québec en faveur des humanités et des sciences humaines dans l’université, à part ceux, notamment, de Michel Freitag ou d’Aline Giroux[106]. Un énoncé du type qu’ont fait Côté et Allahar – « L’étudiant désengagé qui passe à travers le système universitaire sans être touché par les idéaux entretenus par l’enseignement en lettres et en sciences humaines est un infirme moral et représente une forme d’égotisme qui devrait être intolérable à tous les citoyens de nos démocraties contemporaines[107] » – peut certes se comprendre à la lumière du fait que le système éducatif au Canada anglais n’interpose pas de formation collégiale générale entre le secondaire et l’université. Mais on pourrait aussi penser que, malgré tous les bienfaits qu’on peut prêter aux cégeps, leur existence dégage les universités au Québec du soin de veiller à la transmission d’une culture générale humaniste.

La vision utopique et révolutionnaire est encore vivace, si l’on en juge par les professeurs qui, pendant et après le Printemps 2012, s’en sont réclamés, assignant à l’université d’être un rempart critique contre les aliénations, les dominations, les discriminations qu’engendrent les sociétés contemporaines, tombées sous la coupe de l’économisme triomphant[108]. D’autant que c’est la possibilité même des universités de jouer ce rôle critique qui est aujourd’hui atteinte, qui sont soumises à un processus de « financiarisation » à outrance, qui affecte la nature même du travail scientifique, ordonné sur des exigences de productivité et des a priori idéologiques camouflés sous un discours pseudo-savant[109]. Malgré la chute du communisme et le divorce d’une bonne part des universitaires d’avec le marxisme, les idées de révolution, d’insurrection, de subversion ou de suspension de l’ordre établi par la création de « brèches » plébéiennes ou communales sont demeurées le fonds de commerce de plusieurs universitaires en sciences sociales, en arts et en philosophie qui s’investissent de la mission d’exercer à l’égard des pouvoirs, voire de tout pouvoir, une négativité critique doublée d’une action militante. Cette posture attire beaucoup d’étudiants encore qui, fascinés par la doctrine et l’engagement de leurs professeurs, en répercutent les enseignements dans leur propre action militante au sein des associations étudiantes, des partis politiques ou de groupes de pression. Ce n’est un mystère pour personne, je crois, que plusieurs des leaders du mouvement étudiant de 2012, se sont inspirés des cours de philosophie politique, de sociologie critique ou de littérature postcoloniale pour penser et orchestrer leur mobilisation contre la hausse des droits de scolarité décrétée par le gouvernement Charest.

Enfin, l’idée théologique de l’université subsiste encore dans nos établissements universitaires, malgré leur laïcisation rapide depuis le milieu des années 1960, et ce pour plusieurs raisons. Les universités francophones ont conservé des facultés où la théologie coexiste avec les sciences religieuses[110], sans compter les départements de sciences religieuses, qui étudient les manifestations du religieux dans le monde contemporain. Bien sûr, plusieurs de ces départements appréhendent aujourd’hui leur objet, la religion, avec le vocabulaire et les méthodes des sciences sociales. Cependant, dans l’ensemble, le lien organique de l’université québécoise avec la religion, catholique ou protestante, n’a pas été totalement rompu, et une université, l’Université de Sherbrooke, est demeurée, légalement du moins, une institution chapeautée par l’Église catholique[111]. Par ailleurs, à voir l’immense emprise que le marxisme et ses idéologies apparentées ont exercée sur les universités québécoises pendant quelque trente ans, on voit que celles-ci n’ont pas été à l’abri des religions séculières du xxe siècle, qui semblent être aujourd’hui relayées par de nouvelles. Outre la théologie, les universités prodiguent d’autres enseignements de type dogmatique, encore imprégnés de scolastique, comme le droit, par exemple[112]. De plus, les universités sont encore le théâtre de vives polémiques où l’on voit des censeurs, avec une fureur toute théologienne, se prêter à des exercices infamants d’étiquetage contre des collègues dont les idées bousculent certains canons établis. Si le pouvoir souverain, comme le dit Hobbes, est d’arbitrer les doctrines du croire, ces contempteurs des impiétés contemporaines sont les grands prêtres de cette souveraineté cléricale. Qui plus est, à mesure que se sécularise la société, s’accroissent ainsi d’autant l’influence « spirituelle » et l’action « pastorale » des diseurs professionnels d’éthique et de morale, qui se sont substitués aux curés dans la garde du « vivre-ensemble ». En ce sens, les professeurs d’éthique et ceux qui donnent à leur ministère scientifique une dimension « pastorale » militante perpétuent à leur façon ce qui fut la mission fondatrice des premières universités, soit « sauver les âmes »[113].

Max Weber voyait dans l’université le lieu par excellence de la rationalité[114]. L’université serait en quelque sorte le temple de la science rationnelle dressée contre les folies du monde moderne. Mais force est d’admettre que cette assignation généreuse reflète mal la réalité des universités d’aujourd’hui, qui renferment en leur sein tous les irrationalismes engendrés par ce monde, des excès de confiance en la raison ou de sa réduction à la technique efficace, au rejet intégral de la raison au profit de l’exaltation des pulsions et de la volonté humaines. La multiversité contemporaine est ce lieu étrange où, d’un côté, l’on enseigne encore la vertu et la nature humaine d’après Aristote, Platon et Cicéron; et de l’autre, des biologistes, des neurologues et des généticiens travaillent sur le post humain, le cyborg et le transgénique[115]; où sont formés à la chaîne les futurs managers qui prendront la tête du capitalisme immatériel et transnational, quelques cohortes de sociologues et politistes qui instruiront contre le néolibéralisme rampant un procès implacable, ainsi que des travailleurs sociaux qui aiguilleront des chômeurs et les éclopés du système dans le dédale des programmes de réinsertion sociale; où des physiciens perfectionnent les nouvelles armes de destruction massive et où des spécialistes du droit international œuvrent pour le désarmement et la paix mondiale; où des chimistes et des pharmaciens ont mis au point les molécules requises par l’industrie et la médecine et où de nouveaux experts en environnement veillent à dénoncer les effets délétères des plastiques, pesticides, insecticides et médicaments dont les écosystèmes sont envahis; où quantités d’ingénieurs apprennent à construire ponts, autoroutes, aéroports, hôpitaux sans notions de ce que signifient collusion et corruption, et où s’offrent pour les adultes des certificats d’éthique appliquée; où le savoir humain est divisé en disciplines ordonnant les connaissances par leur méthode et leur objet, et où une discipline, la pédagogie, enseigne des compétences transversales qui se rient de cette division. Bref, la multiversité tient sa force de son incohérence même, de sa capacité d’absorber toutes les contradictions de la société contemporaine, et d’incorporer, sitôt qu’une nouvelle expertise, un nouveau jeu de langage érigé en paradigme, prospère dans l’une de ses facultés, une contre-expertise[116]. Elle agit tel un prisme qui décompose la lumière de la raison en une multitude de couleurs, qui chacune croît jusqu’à sa plénitude. Par son pragmatisme et sa morale postmoderne, la multiversité définit son empire par les problèmes qu’elle résout et les pratiques sociales qu’elle intègre, et partant, légitime. En somme, la multiversité est la continuation de la société, et de ses fractures mouvantes, par d’autres moyens.

De l’apesanteur des sciences sociales et des humanités, et de la langue française, dans la multiversité québécoise

 

J’ai très peu traité jusqu’ici du Printemps québécois de 2012, qui fut, par-delà son objet litigieux premier, la hausse des droits de scolarité, un printemps universitaire, pour ne pas dire multiversitaire, bien que la mobilisation étudiante ait compté de nombreux cégépiens. Comme l’ont souligné plusieurs autres analyses, cette mobilisation, à laquelle s’est jointe celle de professeurs du postsecondaire québécois, traduit un malaise profond à l’égard de l’ensemble de la politique québécoise de l’université, qui fait rarement l’objet d’un débat public soutenu. La manière dont l’état québécois fixe les droits de scolarité est parfaitement illustrative de sa politique universitaire : une gestion ad hoc, par décret de l’exécutif, qui tantôt augmente, tantôt gèle ces droits, sans établir sa décision sur un principe général, un cadre de référence normatif structurant pour l’avenir. Je me contenterai ici de mettre en lumière deux aspects de cette mobilisation : 1) le fait qu’elle provienne surtout des étudiants inscrits dans les facultés des arts, des sciences sociales et des humanités; 2) le fait qu’elle soit née principalement des établissements francophones.

Jean-Philippe Warren s’est interrogé sur les facteurs sociologiques à l’origine du Printemps québécois[117]. Au plus fort de la mobilisation, note-t-il, donc en avril 2012, 50 % des étudiants universitaires en grève « étaient inscrits en arts, lettres et sciences humaines, 40 % en sciences sociales, et 10 % en sciences de la santé, pures et appliquées[118] », alors que ces trois groupes d’inscrits représentent, respectivement, 9,2 %, 60,5 %, et 30,3 % du total des trois. Ces chiffres ne tiennent pas compte des inscrits en administration, qui représentent 27 % des inscriptions totales, et qui n’ont pas participé au mouvement de grève. Dès lors se pose cette question : pourquoi cette surreprésentation si tranchée des étudiants en sciences sociales, humaines et en arts dans la grande mobilisation de 2012? Warren brosse un portrait de l’étudiant type en ces domaines : ses débouchés ne sont pas clairs, il est sans trajectoire professionnelle définie, dans telles disciplines où, plus que dans les autres, se forme le « chômeur instruit ». Warren soulève une hypothèse, cruelle, mais combien significative : viendrait-on à fermer tous les départements dans ces disciplines, que la société québécoise s’en apercevrait à peine. À preuve, le fait qu’elles aient été paralysées pendant de longs mois sans que l’ordre des choses paraisse bouleversé, exceptions faites des « interruptions » organisées dans l’espace public par les groupes étudiants, seule façon pour eux de rappeler leur existence à une société qui se soucie peu d’eux. Mal intégrés au monde du travail, les étudiants dans les filières « molles » cultivent la distance à son égard, par leurs habitus de travail – peu de travaux pratiques et peu de stages – et la formation critique qu’ils reçoivent, qui les encourage à se braquer contre la société et ses valeurs dominantes, forts des théories décapantes que leur enseignent leurs professeurs, souvent aussi remontés que leurs étudiants contre les impostures du monde contemporain. Ces étudiants vivent ainsi une forme d’adolescence prolongée, selon Warren, « qui trouve sa vigueur dans le fait qu’ils ne sont plus des filles et des garçons sans être encore des adultes ». « Sans enfant, sans carrière et sans responsabilités », ils peuvent ainsi d’autant mieux « maudire la famille, le travail, les représentations qui structurent l’imaginaire collectif ». D’où la popularité de l’idéologie anarchiste auprès de ce public, selon Warren, dont le discours s’accorde avec « les sentiments et les attitudes spontanés » de cette jeunesse en état d’apesanteur. Warren ne conclut pas pour autant à l’inutilité des sciences sociales et humaines – il est lui-même un professeur de sociologie –, seulement son texte pose la question, sempiternelle mais ô combien toujours actuelle, de leur pertinence, de leur finalité, et de la responsabilité morale des professeurs qui œuvrent dans ces disciplines. Au fond, qui forme-t-on? Des révolutionnaires, des analystes praticiens prêts à servir les organisations, des esprits bien faits, nourris d’une culture générale?

Pour intéressante qu’elle soit, l’analyse de Warren, à trop se concentrer sur les « facteurs scolaires » de la « révolte » du printemps 2012, laisse peut-être en plan un aspect pourtant singulier de cette contestation, à savoir qu’elle a porté, chez certains de ses représentants et penseurs, une critique de l’université elle-même et de ses dérives. C’est là souvent le défaut de tout sociologisme quelque peu poussé : ne portons pas attention à ce que les acteurs sociaux disent, et tâchons plutôt d’expliquer leur discours par des paramètres sociaux. Or, par-delà la question des droits de scolarité, la contestation de 2012 a indéniablement fait entendre une critique de la vision fonctionnelle de la multiversité, de sa conversion au paradigme de l’économie du savoir, en réactivant outre la vision utopique et révolutionnaire de l’université, sa vision humaniste, opiniâtrement attachée à l’idée que la mission première de l’université demeure encore de former des sujets autonomes, des citoyens éclairés, par l’acquisition d’une culture qui dépasse les promesses de maîtrise d’une quelconque expertise technique[119]. Ainsi, au lieu d’insister, comme le fait Warren, sur la marginalité et l’apesanteur des sciences sociales qui font de leurs diplômés des mésadaptés irrécupérables, on pourrait poser le problème autrement : quelle université demeure possible quand une bonne partie des sciences sociales est devenue déconstructiviste, relativiste, cynique, sceptique, postmoderne, cybernétique[120], rebelle à tout principe d’institution[121], voire à l’idée d’un sujet politique à former, d’une culture à transmettre et à renouveler, quand, au fond, une bonne partie de ces sciences adhère viscéralement au projet de la multiversité?

Autre caractéristique de la mobilisation de 2012, elle a été surtout francophone. Pendant ce printemps houleux, il a été peu question comme tel de l’avenir du réseau universitaire francophone au Québec. La présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec a certes publié dans Le Devoir un texte, intitulé « Soutenir la recherche francophone », où elle estimait que la hausse des droits de scolarité poserait une menace à l’accessibilité aux études supérieures et donc à l’essor de la recherche francophone, dans un contexte où « l’anglais s’impose comme la langue hégémonique de la recherche – avec, pour conséquence, l’absence des principales revues savantes francophones dans les grandes banques de données scientifiques[122] ». L’inquiétude de Martine Desjardins a trouvé relativement peu d’écho dans le débat sur l’enseignement supérieur consécutif au Printemps québécois, et pourtant, elle est des plus fondées.

Comme je l’ai montré plus haut, l’état québécois applique dans l’enseignement supérieur une politique linguistique qui est aux antipodes de celle qu’il a édictée depuis l’adoption de la Charte de la langue française dans le réseau scolaire primaire et secondaire en 1977 : soit la politique du bilinguisme concurrentiel, qui entretient deux réseaux universitaires financés par l’état, francophone et anglophone, tous deux également accessibles au « choix » de l’étudiant, dans un marché aux étudiants où la subvention accordée aux universités est fonction du nombre d’inscrits à temps plein et de leur discipline. Au Québec, l’anglais, au niveau postsecondaire, est une langue nationale d’intégration. Cette politique, qui est en fait le fruit de plus de deux siècles de non-interventionnisme, a vu l’état, né après les premières universités fondées par la couronne impériale et l’Église, laisser se développer hors de lui des corps hybrides, extraterritoriaux, dont il a reproduit le modèle en créant à son tour des corps du même type, sous une forme publique cependant. La division linguistique, qui fut aussi longtemps religieuse, du réseau universitaire québécois apparaît ainsi comme une division originaire, incontestable, qui fonde deux prétentions d’autonomie de ces corps contre toute intervention indue de l’état.

Il est remarquable qu’en dépit des efforts déployés pour rehausser le statut du français au Québec, aucun texte normatif de l’état québécois, loi ou règlement, n’établit clairement le régime linguistique des établissements universitaires québécois réputés « francophones ». Les chartes constitutives et les statuts des universités de Montréal, de Laval et de Sherbrooke ne fournissent aucune indication sur leur vocation francophone ou leur régime linguistique. Nulle indication, non plus, dans la loi sur l’Université du Québec, ou les lettres patentes de ses universités constituantes[123]. C’est comme si le fait que ces établissements soient de langue française relevait d’une simple coutume implicite, qui ne mériterait pas d’être formalisée dans une norme de droit positif, héritière sans doute du temps où ces universités se reposaient sur leur catholicité pour perpétuer la langue. Le législateur québécois a tenté de corriger maladroitement cette lacune étonnante en amendant la Charte de la langue française en 2002. Trois articles ont été ajoutés pour exiger de tout établissement collégial ou universitaire, sauf ceux qui sont exceptés à titre d’établissement anglophone, qu’il adopte une politique relative à l’emploi et à la qualité du français. La loi précise ce que doit contenir cette politique, lorsque l’établissement offre un enseignement en français à la majorité de ces élèves. Cependant, l’effet de ces articles est de seulement contraindre les établissements dits « francophones » à établir des normes pour favoriser l’emploi et la qualité du français, sans obligation d’atteindre des résultats précis. En somme, ces articles n’établissent aucunement que les établissements visés sont de langue française, et qu’ils doivent donc poursuivre l’essentiel de leurs activités dans cette langue.

Les universités ont effectivement adopté des politiques conformément aux articles 88.1, 88.2 et 88.3 de la Charte de la langue française. L’UQAM proclame, à l’article 1 de sa politique sur la langue française, qu’elle est « une université publique de langue française », qui  « accorde la plus haute importance à la promotion du français, langue officielle du Québec et langue de la vie publique de tous les Québécoises, Québécois[124] ». Dans sa politique linguistique adoptée en 2001, l’Université de Montréal se présente comme une « grande université de recherche de langue française »; seulement, dans cette même politique, il est écrit ceci : « En pratique, une place spéciale devra être faite à l’anglais, lingua franca » des « communautés scientifiques internationales[125] ». On peut aussi lire, à l’article 13 de cette politique, relatif à la langue des communications scientifiques, la disposition suivante :

Les professeurs et les chercheurs livrent leurs communications scientifiques dans la langue dans laquelle il est naturel de le faire compte tenu de leur discipline, de leurs réseaux scientifiques, lectorats et auditoires. Lorsqu’ils publient dans une langue autre que le français, ils sont encouragés à accompagner leur texte, dans la mesure du possible, d’un résumé substantiel en français.

 

En sciences sociales, c’est à ses risques et périls qu’on avance l’idée que des réalités existent par nature : les inégalités sociales, les différences de sexe et de genre, les cultures, etc.; et quiconque avance une telle idée se fait aussi taxer d’autoritarisme, d’essentialisme, d’anti-modernisme, etc. Pourtant, quand il s’agit des réalités savantes, on peut parler sans peine d’une langue naturelle, à l’appréciation de laquelle renvoie cet article qui, au fond, dit aux professeurs : écrivez en anglais, si cela vous paraît naturel. Quant aux résumés substantiels qui devraient accompagner ces publications anglaises, il serait instructif de savoir combien de professeurs de l’université ont observé cette consigne.

En clair, le régime normatif des universités réputées francophones leur accorde la liberté de se déclarer de langue française à la faveur d’une simple politique de régie interne, à charge pour elles de montrer qu’elles font des efforts pour améliorer l’usage du français, sans devoir réellement le promouvoir dans les enseignements et la recherche. Aucune norme générale, d’un niveau supérieur à de telles politiques administratives, n’énonce leur vocation francophone. Sur le plan strictement juridique, rien n’empêcherait qu’une université dite « francophone » décide de donner des formations strictement ou principalement en anglais – ou en mandarin –, pourvu qu’elle maintienne, en façade du moins, sa signalisation française et le français comme langue administrative interne.

En apesanteur sur le plan juridique, la langue française dans la multiversité québécoise l’est aussi sur plusieurs autres plans. L’hégémonie de l’anglais dans la recherche non seulement internationale mais aussi nationale n’est pas qu’une vue de l’esprit. La domination de l’anglais dans les échanges et les publications scientifiques est très avancée dans les sciences naturelles et de la santé, ainsi qu’en économie et, dans une certaine mesure, en administration. En sciences sociales et humaines, on observe encore un relatif pluralisme linguistique, si bien que le français demeure encore une langue de recherche, qui a ses forums et ses lieux de publication. Cependant, la situation présente est loin d’être acquise, de telle sorte qu’au lieu d’envisager pour l’avenir le statu quo, voire une expansion de l’espace de recherche francophone, on peut craindre une régression, même assez rapide, instaurée par la pratique d’un bilinguisme institutionnel de facto dans les universités prétendument francophones du Québec[126]. Ce bilinguisme ne se limite pas au constat que des universités « francophones » tentent d’implanter des formations en anglais ou prodiguent des enseignements en français sur la base de manuels et de textes rédigés essentiellement en anglais; les mémoires de maîtrise et les thèses de doctorat rédigés en anglais s’y multiplient également.

Plusieurs phénomènes fragilisent actuellement l’espace francophone de recherche au Québec. L’embauche dans les départements de sciences sociales et humaines de candidats qui ont des formations doctorales anglo-saxonnes et qui parfois méconnaissent la littérature francophone dans leur discipline. Les pressions qui s’exercent aujourd’hui sur les doctorants québécois pour qu’ils étudient hors du Québec – le plus souvent en anglais – et publient en anglais. L’abandon par plusieurs spécialistes de ces disciplines du français comme langue de travail scientifique, l’anglais étant considéré comme la seule langue « sérieuse » de publication et d’avancement professionnel, d’où leur ambition de publier dans moult revues anglo-saxonnes, jugées mieux cotées que les autres, en vue d’augmenter leur « indice de référence » et d’accroître leur « valeur » dans le marché des connaissances[127]. L’obsession qu’ont plusieurs recteurs d’université de faire figurer leur établissement dans les palmarès universitaires, qui ordonnent les universités en fonction de leurs publications recensées essentiellement dans les revues anglophones cotées que se partage un oligopole d’éditeurs fortunés. Les politiques des organismes subventionnaires de recherche, qui poussent les universitaires québécois à s’intégrer dans des équipes de recherche nord-américaines. L’échec relatif de la coopération universitaire France-Québec, qui n’a pas réussi à établir une véritable communauté francophone transatlantique; d’ailleurs, le virage anglicisant de l’université française, cautionné par l’adoption de la loi Fioraso en France[128], n’est pas prêt de la matérialiser. Tous ces éléments, et bien d’autres, vouent le français à devenir une langue d’enseignement pour bacheliers, et une langue de traduction dans les séminaires de maîtrise et de doctorat où la discussion porterait sur une littérature essentiellement anglophone. Au fond, l’obsolescence du français comme langue universitaire serait programmée, par les universitaires eux-mêmes, voire par l’état québécois, qui laisse faire les choses dans un réseau qu’il finance et dont il est pourtant le législateur. Cette évolution linguistique risque d’arriver sans coup férir, à la suite de microdécisions qui paraissent toutes « normales », dans un système universitaire très décentralisé où beaucoup d’enjeux fondamentaux se jouent à l’intérieur des départements, en sous-comités. Si les rapports entre l’université et la société démocratique ne vont pas de soi, être professeur ou chercheur francophone dans une multiversité québécoise n’a, aujourd’hui, rien… de naturel. Le tournant linguistique que les universités supposément francophones du Québec semblent marquer consacrerait ainsi leur adhésion sans réserve au projet de la multiversité, soit de se convertir en « entreprises transnationales de résolution de problèmes[129] » dont les producteurs-chercheurs, déliés de toute obligation de transmettre et d’enrichir une culture nationale et sa langue, seraient mus par la seule ambition de maximiser leur « fonction d’utilité » d’entrepreneurs intellectuels en vue d’une excellence sans contenu exprimée dans un globish hégémonique. Comme l’a écrit Bill Readings, un postmoderne lucide : « L’université de l’excellence ne sert plus qu’elle-même et n’est plus qu’une entreprise de plus dans l’univers mondialisé de l’échange des capitaux[130]. »

En guise de conclusion : après les naufrages, les abîmes et les ruines de l’université

La littérature critique des avatars de l’université contemporaine emprunte souvent un ton crépusculaire; on croirait marcher dans un champ de ruines fumantes, où le survivant, hagard et catastrophé, à peine revenu de la nostalgie d’un temps révolu, contemple sans consolation possible les braises crépitantes où se consument les bibliothèques du savoir et de la sagesse. Là, aux abords du temple renversé, viennent rendre l’âme, comme des caravelles aux mâts brisés donnant sur des rives osseuses, les grandes illusions de l’université moderne et humaniste. Mais plutôt que de filer une nouvelle fois la métaphore d’un cimetière marin de l’université, en récitant ces vers de Paul Valéry : « La vie est vaste, étant ivre d’absence, / Et l’amertume est douce, et l’esprit clair », j’ai pris le parti de réfléchir sur la condition de l’enseignement supérieur dans une petite société démocratique minoritaire, qui a entrepris de rattraper son retard universitaire au moment même où, en Californie, un recteur d’université annonçait déjà l’éclipse de l’université classique au profit de la multiversité. Le Québec ne partait certes pas de rien, son réseau universitaire avait été déjà formé dès avant la création de l’état du Québec en 1867, tiré en quelque sorte d’un univers médiévo-libéral où l’autorité du savoir procédait de la croix et de la couronne. Or, de cet univers, le Québec universitaire n’en est pas tout à fait sorti, malgré la laïcisation de plusieurs de ses établissements postsecondaires et des interventions, correctrices et non réellement réformatrices, d’un état provincial resté subsidiaire et fidèle en quelque sorte à une certaine torpeur atavique. Ce qui confère à la multiversité québécoise cette coloration particulière, par le mélange de l’entreprise privée désormais supranationale et de la cité du Vatican[131]. Au-delà de ce régime universitaire bien particulier, propre à la trajectoire sociohistorique du Québec en Amérique du Nord, l’université québécoise n’en connaît pas moins toutes les contradictions qui viennent avec la délicate coexistence de l’université, qui incarnerait, au mieux, une aristocratie du mérite, au pire, une oligarchie de biens titrés, avec la société démocratique, également libérale et capitaliste. Contradictions que tant les universitaires que ses sociétaires, de l’État subventionnaire aux entreprises, tentent de neutraliser, les uns, en invoquant pour eux une extraterritorialité critique de tout savoir, identité, récit, référent, socialement institués, les autres, en soumettant l’université à des exigences comptables et bureaucratiques qui garantissent son utilité socioéconomique. D’où ce mariage étrange mais ô combien efficace du postmodernisme critique et du fonctionnalisme managérial au sein même d’établissements qui, profitant encore de l’ancien prestige attaché à leur nom, ne s’en comportent pas moins en organisations consuméristes de services sans finalités cohérentes, coiffées de la visée creuse de la « poursuite de l’excellence ». Là réside peut-être tout l’intérêt du Printemps québécois de 2012 : nous avoir signalé l’incongruité profonde de ce mariage, où auraient abouti les universités québécoises, devenues des multiversités décomplexées. Seulement, on ne peut exclure que d’aucuns jetteront sur ce printemps le même regard flegmatique et satisfait que les historiens whigs ont posé sur la rébellion patriote de 1837-1838, pour n’y voir, au bout du compte, que la protestation passagère d’un peuple retardataire, rétif aux promesses de la civilisation libérale esquissée par Bacon, Hume, Smith, Durham et tutti quanti.

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Zuppiroli, Libero. La bulle universitaire : faut-il poursuivre le rêve américain?, Lausanne, Éditions d’En bas, 2010.



[1] Jean-Félix Chénier, « Grandeurs et misères de la Classe », Argument, vol. 15, no 2 (printemps-été 2013), p. 57.

[2] Signalons, entre autres, le numéro spécial des Cahiers Fernand Dumont, sous la dir. de Danièle Letocha et Frédéric Parent, L’éducation en péril : pour mieux comprendre le « printemps érable », no 2 (automne 2012- hiver 2013); le dossier de la revue Argument, « Le peuple selon la Classe », vol. 15, no 2 (printemps-été 2013), [En ligne], [http://www.revueargument.ca/article/2013-05-10/579-note-de-la-redaction.html].

[3] Il est encore difficile aujourd’hui de savoir nommer correctement le Québec en tant qu’entité politique. Si les dénominations telles que « province de Québec » ou « gouvernement du Québec » sont impropres, conférer le titre d’État avec la majuscule au Québec tient à la fois de la gageure et de l’enflure rhétorique, car au sein de l’État canadien dont il est la créature, le Québec n’exerce pas les attributs d’un État souverain, mais des compétences définissant une autonomie interne bornée par l’ordre politico-constitutionnel canadien.  C’est pourquoi, m’inspirant de la pratique de certaines langues latines qui distinguent l’État, Estado en espagnol et en catalan, en majuscule, de l’état, en minuscule, lequel désigne plutôt les entités fédérées ou infraétatiques, je désignerai le Québec, en tant que collectivité exerçant certains éléments de la puissance publique dans le cadre canadien, comme suit : état du Québec.

[4] Lise Bissonnette et John R. Porter, L’université québécoise : préserver les fondements, engager des refondations, Rapport du chantier sur une loi-cadre des universités, ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie, état du Québec, septembre 2013, [En ligne], [http://www.mesrs.gouv.qc.ca/fileadmin/administration/librairies/documents/chantiers/ChantierLoiCadreDesUniversites.pdf].

[5] Guy Haarscher, « L’Université : une “aristocratie démocratique”? », dans Julie Allard, Guy Haarscher et Maria Puig de la Bellacasa (dir.), L’université en questions : marché des savoirs, nouvelle agora, tour d’ivoire? Bruxelles, Éditons Labor, 2001, p. 6.

[6] Claude Corbo, « Avant-propos », dans Claude Corbo (dir.), L’idée d’université : une anthologie des débats sur l’enseignement supérieur au Québec de 1770 à 1970, avec la collaboration de Marie Ouellon, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2001, p. 21.

[7] Il y a bien sûr d’autres publications sur l’université québécoise, mais elles se signalent par leur approche fonctionnaliste et souvent a-historique. Voir notamment : Paul Beaulieu et Denis Bertrand (dir.), L’État québécois et les universités : acteurs et enjeux, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 1999; Denis Rhéaume, L’université possible : un regard personnel et prospectif porté sur l’université québécoise, Sainte-Foy, Presses de l’Université du Québec, 2000; Pierre Lucier, L’université québécoise : figures, mission, environnements, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006; Roch Denis, Les défis de l’université au Québec, Montréal, VLB éditeur, 2000. Pierre Lucier brosse certes un petit historique des universités québécoises, qui remonte, sans plus, à la commission Parent.

[8] Corbo, « Avant-propos », p. 21.

[9] Alain Renaut, Les révolutions de l’université, Paris, Calmann-Lévy, 1995, p. 84.

[10] Sur cette querelle, voir André Lavallée, Québec contre Montréal : la querelle universitaire, 1876-1891, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1974; Marcel J. Rhéault, La rivalité universitaire Québec-Montréal revisitée 150 ans plus tard, Québec, Éditions du Septentrion, 2011.

[11] Voir le texte de Michel Champagne, « Les documents fondateurs de l’Université de Montréal », division des archives, sur le site de l’Université de Montréal, [s. d.], [http://www.archiv.umontreal.ca/exposition/ expo_docs_fondateurs/images/texte_exposition.pdf] (24 février 2014).

[12] Voir John Strachan, « Un plan d’organisation pour l’Université McGill », dans Corbo (dir.), L’idée d’université, p. 42-45.

[13] Pierre Graveline, Une histoire de l’éducation au Québec, Montréal, Bibliothèque québécoise, 2007, p. 25. Voir aussi Cyrus MacMillan, McGill and its Story 1821-1921, Londres, Oxford University Press, 1921, p. 19-24.

[14] Lionel Groulx, L’enseignement français au Canada, t. 1 : Dans le Québec, Montréal, Librairie d’action canadienne-française, 1931, p. 82.

[15] Québec. État, Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire, L.R.Q., chap. E 14.1, article 1.

[16] Voir cette liste parmi les pages suivantes : Canada. État fédéral, « Couronne canadienne », sur le site du Gouvernement du Canada, [s. d.], [http://couronnecanadienne.gc.ca/fra/1334332756626] (24 février 2014).

[17] Ces éléments historiques sont précisés dans Stanley Brice Frost, The History of McGill in Relation to the Social, Economic and Cultural Aspects of Montreal and Quebec, Commission d’études sur les universités, 1979, p. 4-6. Voir aussi Stanley Brice Frost, McGill University: For the Advancement of Learning, t. 2 : 1895-1971, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1980.

[18] Andrée Lajoie et Michelle Gamache, Droit de l’enseignement supérieur, Montréal, Les Éditions Thémis, 1990, p. 195-203.

[19] Ibid., p. 201.

[20] Ibid., p. 239-240.

[21] Christophe Charle et Jacques Verger, Histoire des universités, Paris, Presses universitaires de France, 2012, p. 17.

[22] Alan Cobban, English University Life in the Middle Ages, Londres, UCL Limited, 1999.

[23] Jacques Verger, Les universités au Moyen Âge, Paris, Presses universitaires de France, 1999, p. 53-54.

[24] Sur cette théorie, voir notamment le chapitre IV (« La question des formes politiques »), dans Pierre Manent, Cours familier de philosophie politique, Paris, Gallimard, 2001, p. 71-84.

[25] Thomas Hobbes, Léviathan, Paris, Gallimard, 2000, p. 354.

[26] L’Université Concordia naquit de la fusion de l’Université Sir George William, à l’origine un collège créé en 1926 qui reçut le titre d’université en 1959, et du Collège Loyola, fondé en 1896, sans statut universitaire.

[27] Lajoie et Gamache, Droit de l’enseignement supérieur, p. 201 et 213.

[28] Ibid., p. 202.

[29] Cette création advint par la Loi sur le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Science et de la Technologie et modifiant diverses dispositions législatives, L. Q., 1985, c.21. Par la suite, l’Enseignement supérieur a tantôt été intégré au ministère de l’Éducation, tantôt dissocié, comme ce fut brièvement le cas sous le gouvernement de Pauline Marois. Le gouvernement Couillard l’a de nouveau intégré au ministère de l’Éducation.

[30] Lajoie et Gamache, Droit de l’enseignement supérieur, p. 119.

[31] Comme le rappelle l’article 4 des Statuts de l’Université de Sherbrooke, p. 1, tels qu’amendés le 15 juin 2015 », dans le site de l’Université de Sherbrooke, [http://www.usherbrooke.ca/statuts/fileadmin/sites/statuts/documents/Charte_et_statuts_au_15_juin_2015.pdf]).

[32] Université de Sherbrooke, « Charte telle qu’amendée et en vigueur depuis le 23 juin 1978 ».

[33] Caroline Touzin, « Manifestation étudiante : la demande de l’UdeM rejetée », La Presse, 13 avril 2012, [En ligne], [http://www.lapresse.ca/actualites/education/201204/13/01-4515077-manifestation-etudiante-la-demande-dinjonction-de-ludem-est-rejetee.php]. La Cour supérieure a toutefois rejeté la requête de l’Université qui escomptait faire resserrer l’injonction provisoire qu’elle avait obtenue dans le conflit.

[34] Voir Canada. Cour suprême, McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 RCS 229, sur le site Jugements de la Cour suprême du Canada, [https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/687/index.do].

[35] Il est intéressant de noter que le projet de loi 60, dit communément projet de « Charte des valeurs » et déposé en 2013 par le ministre Bernard Drainville, accordait aux universités le droit de se soustraire temporairement à l’interdiction faite par le projet du port de signes religieux ostensibles. Autre bel exemple du régime d’immunité que l’on se plaît à accorder spontanément à ces établissements et de l’ambiguïté de leur statut (voir Québec. Assemblée nationale, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement, projet de loi 60, article 45, 40e législature, 1re session. Le projet initial prévoyait l’octroi d’un droit de retrait renouvelable aux universités, ainsi qu’aux cégeps et aux établissements de santé et de services sociaux. Voir le document d’orientation :  Québec. État, « Orientations gouvernementales en matière d’encadrement d’accommodement religieux, d’affirmation des valeurs de la société québécoise ainsi que du caractère laïque des institutions de l’État québécois », sur le site du Gouvernement du Québec, septembre 2013.

[36] Marc Chevrier, « Le complexe pédagogo-ministériel », Argument, vol. 9, no 1 (automne 2006-hiver 2007), p. 21-34, [En ligne], [http://www.revueargument.ca/article/2006-10-01/365-le-complexe-pedagogo-ministeriel.html].

[37] Comme le souligne Lucia Ferreti, les aides aux universités ont quintuplé en dix ans sous Duplessis (voir Lucia Ferreti, « Les origines de l’université du Québec », dans Marcel Martel (dir.), L’université et la francophonie, avec la collaboration de Robert Choquette, Ottawa, Centre de recherche en civilisation canadienne-française, Université d’Ottawa, 1999, p. 160).

[38] Voir le mémoire de l’université déposé à la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels, 1953, dont des extraits sont reproduits dans Corbo (dir.), L’idée d’université, p. 24-227.

[39] Association canadienne des professeures et professeurs d’université, « Almanach de l’enseignement postsecondaire au Canada de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université, 2013-2014 », sur le site de l’ACPPU, [s. d.], [http://www.caut.ca/docs/default-source/almanac/almanac_2013-2014_print_finalE20A5E5CA0 EA6529968D1CAF.pdf?sfvrsn=2] (janvier 2014).

[40] Confédération des associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval, « Les transferts fédéraux en éducation et le déséquilibre fiscal », sur le site de la CADEUL, janvier 2006, [http://www.cadeul.ulaval. ca/agoraetudiante/doc/60.pdf] (janvier 2014).

[41] Association canadienne des professeures et professeurs d’université, « Almanach de l’enseignement postsecondaire », p. 1-8.

[42] France St-Hilaire, « Écarts et déséquilibre fiscaux : la nouvelle donne du fédéralisme canadien », Options politiques, octobre 2005, p. 33.

[43] Voir Yves Gingras, « Les chaires de recherche du Canada : plus d’argent mais moins d’autonomie pour les universités », dans Roch Côté et Michel Venne (dir.), L’annuaire du Québec 2003, Ville Saint-Laurent, Éditions Fides, 2002, p. 608-613.

[44] Nous traduisons. Voir James E. Côté et Anton L. Allahar, Lowering Higher Education: The Rise of Corporate Universities and the Fall of Liberal Education, Toronto, University of Toronto Press, 2011.

[45] Ce pourcentage des étudiants de première génération sur le total des inscriptions est en moyenne de 64,5 % dans le réseau de l’Université du Québec, il avoisine les 50 % pour Laval et Montréal, et tombe à 20 % pour McGill. Voir les chiffres rapportés par Michel David, « La première génération », Le Devoir, 17 janvier 2013, [En ligne], [http://www.ledevoir.com/politique/quebec/368553/la-premiere-generation].

[46] Je renvoie le lecteur à l’étude détaillée que j’ai faite en 2008. Voir Marc Chevrier, « La petite politique d’un naufrage annoncé », L’Action nationale, vol98, no 8 (octobre 2008), p. 108-129. Voir aussi Marc Chevrier, « L’éducation supérieure dans l’ombre d’un drôle d’État », L’Action nationale, vol. 99, nos 5-6 (mai-juin 2008), p. 11-19.

[47] Université Bishop’s, « Royal Charter of the University of Bishop’s College », sur le site de l’Université Bishop’s, [s. d.], [http://www.ubishops.ca/library/old-library/historical-timeline/1843-1853.html#c4912] (janvier 2014).

[48] Eric Enlow, « The Corporate Conception of the State and the Origins of Limited Constitutional Government », Journal of Law and Policy, vol. 6, no 1 (janvier 2001), p. 1-31, [En ligne], [http://openscholarship.wustl.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1442&context=law_journal_law_policy].

[49] Opinion du juge Marshall, United States v. Maurice, 26 F. Cas. 1211 (C.C.D. Va. 1823), reproduite dans : Enlow, « The Corporate Conception », p. 15.

[50] Bruno-Guy Héroux, « Que signifie l’expression les corps politiques et les corporations utilisée à l’article 33 du Code de procédure civile du Québec? », Les Cahiers de droit, vol. 32, no 2 (1991), p. 468, [En ligne], [http://id.erudit.org/iderudit/043086ar].

[51] Ibid., p. 457-484. Voir Québec. État, Code de procédure civile du Québec, L.R.Q., c-25, article 33. Cet article distingue « les corps politiques » et « les personnes morales de droit public ou de droit privé au Québec ».

[52] Comme le constatent Lajoie et Gamache, dans Droit de l’enseignement supérieur, p. 135.

[53] Notons que le concept de « township » figure dans la Loi constitutionnelle de 1867, à l’article 144, qui confère à l’exécutif québécois, le lieutenant-gouverneur en conseil, le droit de créer de nouveaux townships par proclamation.

[54] Sur cette philanthropie, voir Carole Masseys-Bertonèche, Philanthrophie et grandes universités privées américaines : pouvoir et réseaux d’influence, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 2006. McGill possède le deuxième fonds plus important en dotation au Canada, après celui de l’Université de Toronto, avec plus de 1 milliard pour l’année 2012. Voir le budget annuel 2013 de l’Université : Université McGill. Office of the Provost, « Budgetbook 2013-2014 », sur le site de l’Université McGill, [s. d.], [https://www.mcgill.ca/provost/sites/mcgill.ca.provost/files/doc_university_budgetbook_2013_2014_v20130506.pdf] (janvier 2014).

[55] Bissonnette et Porter, L’université québécoise, p. 55.

[56] Ce qu’ont pensé Edgar Morin, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, dans les textes réunis dans Mai 68 : la brèche, Paris, Fayard, 2008.

[57] Une idée que propagea notamment la presse française (voir Agence France-Presse, « Le “Mai 68 de Québec et de Montréal », Le Point, 24 mai 2012, [En ligne], [http://www.lepoint.fr/monde/quebec-printemps-erable-700-arrestations-dans-la-nuit-24-05-2012-1464870_24.php]; Anthony Tejero, « Québec : le printemps érable souffle sur Paris », L’Humanité, 23 mai 2012, [En ligne], [http://www.humanite.fr/quebec-le-printemps-erable-souffle-sur-paris]). Comme je l’ai souligné dans une entrevue donnée à Stéphane Baillargeon, on peut voir des similitudes comme des différences entre ces événements (Stéphane Baillargeon, « Crise étudiante : Mai 68, en gros », Le Devoir, 9 juin 2012, [En ligne], [http://www.ledevoir.com/societe/education/352083/mai-68-en-gros].

[58] Emmanuel Todd, La troisième planète : structures familiales et systèmes idéologiques, Paris, Seuil, 1983.

[59] Voir Robert Dahl, A Preface to Economic Democracy, Berkeley, University of California Press, 1985.

[60] Par contraste avec notre époque, « le gouvernement des universités présentait au xiiie siècle des caractères incontestablement démocratiques » (voir Verger, Les universités au Moyen Âge, p. 52).

[61] Haarscher, « L’université : une “aristocratie démocratique”? » p. 11.

[62] Benjamin Barber, An Aristocracy of Everyone: The Politics of Education in America, Oxford, Oxford University Press, 1992.

[63] Haarscher, « L’université : une “aristocratie démocratique”? », p. 11.

[64] Ibid., p. 12.

[65] Comme l’écrit Ernst Cassirer, « [l]a culture, prise dans son ensemble, peut être envisagée comme le procès de la libération progressive de l’homme. Le langage, l’art, la religion, la science, sont les divers moments de ce procès. En chacun d’eux l’homme découvre et prouve un pouvoir nouveau  le pouvoir de construire son propre monde, un monde “idéal” » (Essai sur l’homme, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 317).

[66] Voir Organisation de coopération et de développement économiques, « Regards sur l’éducation 2011 : les indicateurs de l’OCDE », sur le site de l’OCDE, 2011, [http://www.oecd.org/fr/education/scolaire/regardssurleducation2011lesindicateursdelocde.htm]

 (janvier 2014). Surtout se référer au tableau A1.4, en page 45 du document.

[67] Voir Bill Readings, Dans les ruines de l’université, traduit de l’anglais par Nicolas Calvé, Montréal, Lux éditeur, 2013.

[68] Vilfredo Pareto, Traité de sociologie générale, t. 2, Paris, Librairie Payot, 1919, paragraphes 2027 à 2031, p. 1296-1297. L’ouvrage est disponible en ligne à cette adresse des bibliothèques de l’université de Toronto : [https://archive.org/details/traitdesociolo02pareuoft].

[69] Depuis le célèbre article de Theodore Schultz, « Investment in Human Capital », American Economic Review, vol. 51 (1961), p.1-17 . Voir aussi Gary Becker, Human capital: A Theoretical and Empirical Analysis, with Special Reference to Education, Chicago, University of Chicago Press, 1993.

[70] Claude Lefort, L’invention démocratique, Paris, Fayard, 1981, p. 64.

[71] Michel Troper, Le gouvernement des juges, mode d’emploi, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, p. 46.

[72] Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, t. : Le côté de Guermantes; Sodome et Gomorrhe, édition de Pierre Clarac et André Ferré, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1954, p. 455.

[73] Par exemple : Éric Martin et Maxime Ouellet, Université inc. : des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Montréal, Lux éditeur, 2011. Également : Normand Baillargeon, Je ne suis pas une PME : plaidoyer pour une université publique, Montréal, Poètes de brousse, 2011.

[74] Yves Couture, « Peuple et hiérarchie dans la pensée de Rousseau », dans Marc Chevrier, Yves Couture et Stéphane Vibert (dir.), Voyage dans l’Autre de la modernité : essais d’anthropologie philosophique, Montréal, Éditions Fides, 2011, p. 137-163.

[75] Voir aussi, dans le cadre scolaire, Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet et Dominique Ottavi, Conditions de l’éducation, Paris, Stock, 2008, p. 81-82.

[76] Proust a décrit de traits savoureux l’apparat vestimentaire des professeurs de l’université française avant l’affaire Dreyfus (voir À la recherche du temps perdu, t. 2 : Le coté de Guermantes, p. 458-459).

[77] On trouvera un exposé de cette vision dans le texte de Léo A. Dorais, « Universités nouvelles, nouvelle université », Forces, no 9 (automne 1969), p. 17-26 (reproduit dans Corbo, L’idée d’université, p. 351-358). Voir aussi, sur la genèse et l’esprit de l’UQAM : Claude Corbo, « L’UQAM a 40 ans : encore une université nouvelle? », dans Lyse Roy et Yves Gingras (dir.), Les universités nouvelles : enjeux et perspectives, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 9-22; puis, dans le même collectif, consulter Denis Bertrand, « Les principaux attributs de l’Université du Québec à Montréal en tant que nouvelle université et université nouvelle (1969-1971) », p. 213-236.

[78] Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit, 1964. Voir également Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Éditions de Minuit, 1970. Une analyse qui a été contestée notamment par Raymond Boudon, L’inégalité des chances : la mobilité sociale dans les sociétés industrielles, Paris, Armand Colin, 1973.

[79] Voir Haarscher, « L’université : une “aristocratie démocratique”? », p. 9-10. Voir de même la récente contribution au débat de Michel Seymour, Une idée de l’université : propositions d’un professeur militant, Montréal, Éditions du Boréal, 2013.

[80] Allan Bloom, The Closing of the American Mind: How Higher Eduction Has Failed Democracy and Impoverished the Souls of Today’s Students, New York, Touchstone Books, 1988. Pour l’édition en français : Allan Bloom, L’âme désarmée : essai sur le déclin de la culture générale, Paris, Julliard, 1987. Également visiter les « Quelques remarques sur la question de l’élitisme » d’Adrien Barrot, dans Allard, Haarscher et Puig de la Bellacasa (dir.), L’université en questions, p. 149-157. Sur la vision qu’avait Strauss de l’enseignement supérieur, voir Leo Strauss, « Liberal Education and Mass Democracy », dans Robert A. Goldwin (dir.), Higher Education and Modern Democracy: The Crisis of the Few and Many, Chicago, Rand McNally and Co., 1967, p. 73-96.

[81] Allan Bloom, « L’université dans la démocratie », Commentaire, no 41 (printemps 1988), p. 353.

[82] Ibid., p. 352.

[83] Justine Lacroix, « Université et démocratie : sur L’âme désarmée d’Allan Bloom », dans Allard, Haarscher et Puig de la Bellacasa (dir.), L’université en questions, p. 166.

[84] Ibid., p. 166.

[85] Voir Arild Tjeldvoll, « The Idea of the Service University », International Higher Education, no 13 (automne 1998), p. 9.

[86] Ce qu’en jargon gestionnaire, on appelle la « valorisation » de la recherche universitaire, exigence qui pèse sur les universités depuis les années 1970 et dont Kenneth Bertrans a fait un historique détaillé dans « Les interactions industrie-université : essai de repérage historique (xixe-xxe siècles) », dans Yves Gingras et Lyse Roy (dir.), Les transformations des universités du xiiie au xxie siècle, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006, p. 89-112.

[87] Aline Giroux, Le pacte faustien de l’université, Montréal, Éditions Liber, 2006, p. 131-132.

[88] Andrée Lajoie, Vive la recherche libre!, Montréal, Éditions Liber, 2009.

[89] Côté et Allahar, Lowering Higher Education, p. 19-21. Voir aussi Peter C. Emberley et Waller R. Newell, Bankrupt Education: The Decline of Liberal Education in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1994, p. 24-25. De même, sur la « purification » du cursus universitaire, voir David Bercuson, Robert Bothwell et Jack Lawrence Granatstein, Petrified Campus: The Crisis in Canada’s Universities, Toronto, Random House of Canada, 1997, p. 91-124. Sur les « guerres académiques » américaines, voir Joan W. Scott, « Les “guerres académiques” aux États-Unis », dans Allard, Haarscher et Puig de la Bellacasa (dir.), L’université en questions, p. 372-380.

[90] Readings, Dans les ruines de l’université, p. 157.

[91] Voir Blais, Gauchet et Ottavi, Conditions de l’éducation, p. 83.

[92] Michel Freitag, Le naufrage de l’université et autres essais d’épistémologie politique, Québec, Nuit Blanche éditeur, 1995, p. 44.

[93] Clark Kerr, Métamorphose de l’université, Paris, Éditions Économie et Humanisme et Les Éditions ouvrières, 1967. De sa conférence, Kerr fit un livre, que voici.

[94] Marc Chevrier, « La multiversité est-elle l’avenir de l’enseignement supérieur? », Les Cahiers Fernand Dumont, no 2 (automne 2012-hiver 2013), p. 222-235.

[95] Kerr, Métamorphose de l’université, 27.

[96] Voir Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, Rapport sur le développement des nouvelles technologies de l’information et des communications dans le réseau universitaire québécois, CREPUQ, 1996, p. 11.

[97] Jean-François Lyotard, La condition postmoderne, Paris, Éditions de Minuit, 1979.

[98] Corbo, L’idée d’université, p. 19.

[99] Gilles Gagné, « La restructuration de l’université : son programme et ses accessoires », Société, no 24-25 (hiver 2005), p. 31-53. Voir aussi Yves Gingras, « Des politiques scientifiques aux stratégies d’innovation », dans Miriam Fahmy (dir.), L’état du Québec 2011, Montréal, Éditions du Boréal, 2011, p. 318-322.

[100] Jean Crête et al., Aperçus nouveaux sur les universités au Québec, Laboratoire d’études politiques et administratives, Département de science politique, Université Laval, Notes et travaux de recherche, no 3 (mai 1982), p. 20.

[101] Voir John Ziman, « “Postacademic Science”: Constructing Knowledge with Networks and Norms », Science Studies, vol. 9, no 1 (1996), p. 67-80, [En ligne], [http://www.sciencetechnologystudies.org/system/files/1996_1_postacad.pdf]. Également John Ziman, Real Science: What it Is, and What it Means, Cambridge, Cambridge University Press, 2000.

[102] Sheila Slaughter et Gary Rhoades, Academic Capitalism and the New Economy: Markets, State, and Higher Education, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2004.

[103] Voir Stefan Collini, What are Universities for?, Londres, Penguin Books, 2012, p. 14-15.

[104] Comme le certificat sur les œuvres marquantes de la société occidentale de l’Université Laval ou la majeure en Histoire, culture et société offerte par l’UQAM. Le Liberal Arts College affilié à l’Université Concordia offre aussi des formations se réclamant du classicisme libéral.

[105] Côté et Allahar, Lowering Higher Education, p. 23.

[106] Giroux, Le pacte faustien de l’université. Voir aussi le chapitre 10 de Michel Freitag, L’abîme de la liberté : critique du libéralisme, Montréal, Éditions Liber, 2011. Puis Michel Freitag, « L’université aujourd’hui : les enjeux du maintien de sa mission institutionnelle d’orientation de la société », dans Gilles Gagné (dir.), Main basse sur l’éducation, Montréal, Éditions Nota bene, 1999, p. 237-294. Au Canada anglais, voir notamment James E. Côté et Anton L. Allahar, La tour de papier : l’université mais à quel prix?, Montréal, Éditions Logiques, 2010; et Emberley et Newell, Bankrupt Education.

[107] Côté et Allahar, Lowering Higher Education, p. 250.

[108] Corbo distingue la vision utopique de l’université de sa conception révolutionnaire en ce que la première vise davantage la transformation radicale de l’apprentissage et des conditions d’accès aux études, alors que la seconde vise « à établir une société où n’existera plus l’exploitation de l’homme par l’homme ni la domination d’une classe sur les autres. » Si la distinction entre ces deux visions est légitime, celles-ci sont souvent réunies dans le même discours (Corbo, L’idée d’université, p. 20-21).

[109] Paul Sabourin, « Nos universités à l’ère de la standardisation économique », Les Cahiers Fernand Dumont, no 2 (automne 2012-hiver 2013), p. 302-329.

[110] C’est le cas des universités Laval, Sherbrooke et Montréal. McGill possède une faculté des études religieuses qui, en coopération avec la Montreal School of Theology, offre des diplômes de théologie (divinity) pour trois confessions protestantes : anglicane, presbytérienne et de l’Église-Unie. Selon l’article 1, alinéa 10 de la Loi sur les établissements d’enseignement de niveau universitaire, L.R.Q., ch. E 14.1, cette école serait un établissement universitaire distinct de McGill, donc un établissement universitaire à vocation religieuse reconnu par l’État. Par ailleurs, notons qu’en 1865, l’Assemblée législative du Canada-uni a incorporé par une loi spéciale le Collège presbytérien de Montréal, loi qui fut rénovée en 2010, Loi concernant le Collège presbytérien, Montréal, L.Q., 2010, ch. 48. Le Séminaire diocésain de Montréal, le pendant de l’Église anglicane, a aussi été incorporé par voie législative.

[111] Le préambule de la charte constitutive de l’Université de Montréal comporte un attendu qui souligne que l’université « a été reconnue canoniquement par une constitution apostolique donnée le 30 octobre 1927 ». Il est intéressant de constater que l’article 1 de la Charte de cette université évoque les « statuts adoptés sous son empire » (nous soulignons). Par ailleurs, la Charte de l’Université Laval, à l’article 14, prévoit que les programmes de théologie et le choix des enseignants en ces matières seront soumis aux directives de l’archevêque de Québec. Notons aussi que l’archevêque de Sherbrooke est d’office chancelier de l’Université de Sherbrooke. Le chancelier-archevêque nomme les membres du conseil d’administration qui ont été désignés conformément aux statuts, confirme la nomination du recteur faite par le conseil et préside l’Assemblée universitaire et d’autres cérémonies de l’université. L’article 4 des statuts de l’Université précise « qu’elle respecte l’autorité compétente de son chancelier, l’archevêque catholique romain de Sherbrooke ». Selon Pierre Lucier, l’Université de Sherbrooke est donc toujours une université catholique, tout en se définissant comme étant « d’intérêt public ». Voir Bissonnette et Porter, L’université québécoise, p. 25.

[112] Marc Chevrier, « Le droit, ou la dogmatique de la modernité », dans Chevrier, Couture et Vibert (dir.), Voyage dans l’Autre de la modernité, p. 295-325.

[113] Sur cette mission, voir Ian P. Wei, « Medieval Universities and Aspirations to Universal Significance », dans Adam R. Nelson et Ian P. Wei (dir.), The Global University: Past, Present, and Future Perspectives, New York, Palgrave MacMillan, 2012, p. 135.

[114] Voir son avant-propos : Max Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1967, p. 9-10.

[115] Comme l’a montré Gilles Bibeau, il s’est développé au Québec une véritable industrie du gène, à la faveur d’un nouveau complexe universitaire et industriel (Gilles Bibeau, Le Québec transgénique : science, santé, humanité, Montréal, Éditions du Boréal, 2004, p. 184). Dans La bulle universitaire, Libero Zuppiroli a rappelé comment les ambitions de la techno-science, « le rêve de pouvoir transformer l’homme, améliorer le corps et les performances sociales et faire reculer les limites de la mort », trouvent leurs racines philosophiques chez Francis Bacon qui, dans La nouvelle Atlantide, assigna de telles fins à une société utopique vivant « par et pour la science » (Libero Zuppiroli, La bulle universitaire : faut-il poursuivre le rêve américain?, Lausanne, Éditions d’En bas, 2010, p. 115-118).

[116] Pour une justification de la multiversité, vue comme harmonie « polyphonique » intégrant tous les savoirs et toutes les cultures, voir Paul Wildman, « From the Monophonic University to the Polyphonic Multiversities », Futures, vol. 30, no 7 (1998), p. 625-633.

[117] Jean-Philippe Warren, « Liberté, gratuité, révolution : les facteurs scolaires de la révolte étudiante », Argument, vol. 15, no 2 (printemps-été 2013), p. 28-38.

[118] Ibid., p. 30.

[119] Voir, notamment, préparé par l’Association pour une solidarité syndicale étudiante, « Quand le capital monte à la tête : l’éducation postsecondaire dans l’économie du savoir », sur le site de l’ASSE, janvier 2011, [http://www.asse-solidarite.qc.ca/wp-content/uploads/2012/11/recherche-economie-du-savoir-bonne-version.pdf] (janvier 2014). De même, voir Martin et Ouellet, Université inc., p. 113. On y évoque même l’idéal grec de la paideia. Puis, voir Baillargeon, Je ne suis pas une PME. Voir aussi Éric Martin et Maxime Ouellet, « Économie du savoir : l’université n’est pas une entreprise », Le Devoir, 26 octobre 2011, [En ligne], [http://www.ledevoir.com/societe/education/334522/economie-du-savoir-l-universite-n-est-pas-une-entreprise]; Éric Martin, « À Go!, réclamez 200 $ : le social comme marchandise : réflexion sur le devenir-entreprise du soi et de la société », Argument, vol. 13, no 1 (automne 2010-hiver 2011), p. 75-87, [En ligne], [http://www.revueargument.ca/article/2010-10-01/506-a-go-reclamez-200-le-social-comme-marchandise-reflexion-sur-le-devenir-entreprise-du-soi-et-de-la-societe.html].

[120] Céline Lafontaine, L’empire cybernétique : des machines à penser à la pensée machine, Paris, Seuil, 2004.

[121] Sur ce sujet, voire la thèse de doctorat d’Éric Martin, L’esprit des institutions : le problème de la médiation institutionnelle dans la théorie critique contemporaine, thèse de doctorat (science politique), École d’Études politiques, Université d’Ottawa, 2013, [En ligne], [https://www.ruor.uottawa.ca/en/bitstream/handle/10393/23638/Martin_Eric_2013_these.pdf?sequence=3].

[122] Martine Desjardins, « Langue française : soutenir la recherche francophone », Le Devoir, 4 juillet 2012, [En ligne], [http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/353747/soutenir-la-recherche-francophone].

[123] Pourtant, la commission Parent recommanda « qu’au moins une université à charte limitée de langue française soit immédiatement créée à Montréal » (Corbo (dir.), L’Idée d’université, p. 308). L’article 62 du règlement général no 2 de l’Université du Québec prévoit tout au plus qu’un étudiant admis sur une base autre que le DEC dans un programme de premier cycle doive faire la preuve qu’il possède une « maîtrise jugée suffisante de la langue française ». Voilà une base juridique ténue pour énoncer le régime linguistique du réseau de l’Université du Québec (voir Université du Québec, « Règlement général 2 : les études de premier cycle », avril 2011, sur le site de l’Université du Québec, [http://www.uquebec.ca/sgdaj/Dossier/ reglements/regle_2.pdf] (janvier 2014)).

[124] Université du Québec à Montréal, « Politique relative à la langue française, no 50 », [s. d.], sur le site de l’UQAM, [http://www.instances.uqam.ca/ReglementsPolitiquesDocuments/Documents/Politique_no_50.pdf] (janvier 2014).

[125] Université de Montréal, « Politique linguistique de l’Université de Montréal, no 10.34 », 30 novembre 2011, sur le site de l’Université de Montréal, [http://secretariatgeneral.umontreal.ca/fileadmin/user_upload/secretariat/doc_ officiels/reglements/administration/adm10-34_politique-linguistique.pdf] (janvier 2014).

[126] Voir, sur ce bilinguisme institutionnel déjà pratiqué par les universités « francophones » québécoises, tant dans les enseignements que dans la recherche; Claude Simard et Claude Verrault, « Statut du français au Québec : l’exemple inquiétant des universités », Huffingtonpost, 8 février 2014, [En ligne], [http://quebec.huffingtonpost.ca/claude-simard/statut-francais-quebec-exemple-universites_b_4732505.html] (janvier 2014).

[127] Sur la nouvelle culture de l’évaluation de la « performance » universitaire qui s’instaure en Europe, et aussi au Québec sous influence américaine, voir Grégoire Chamayou, « Petits conseils aux enseignants-chercheurs qui voudront réussir leur évaluation », Revue du Mauss, no 33 (2009), p. 208-226.

[128] Soit la Loi n° 2013-660 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, promulguée le 22 juillet 2013, qu’a patronnée la ministre titulaire Geneviève Fioraso. Cette loi, bien qu’elle énonce à l’article 2 que « [l]a langue de l’enseignement, des examens et concours, ainsi que des thèses et mémoires dans les établissements publics et privés d’enseignement est le français », multiplie les exceptions à cette règle, pour autoriser les formations en langue étrangère – en anglais surtout –, dès lors qu’elles sont dispensées dans le cadre d’un programme européen ou d’un accord avec une université étrangère. Malgré les vives réactions suscitées par cette bénédictiondonnée à l’anglicisation de l’université française, la loi passa comme une lettre à la poste à l’Assemblée nationale française. Pour le linguiste Claude Hagège, il s’agit là rien de moins qu’un « sabordage » de la langue française (voir Claude Hagège, « Refusons le sabordage du français », Le Monde, 25 avril 2013, [En ligne], [http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/04/25/refusons-le-sabordage-du-francais-par-claude-hagege_3166350_3232.html]).

[129] Selon le mot de Chantal Lagacé, « L’université est-elle soluble dans l’innovation », Argument, vol. 8, no 2 (printemps-été 2006), p. 112, [En ligne], [http://www.revueargument.ca/article/1969-12-31/354-luniversite-est-elle-soluble-dans-linnovation.html?MagazineArgument=27b480a83f675ce03c0b4e726fedf1e3].

[130] Readings, Dans les ruines de l’université, p. 72.

[131] Comme le rappelle le vaticaniste Francesco Clementi, on ne naît pas citoyen du Vatican, on le devient, un peu, comme aujourd’hui, des universitaires portent leur allégeance première à leur université, ou à l’espace transnational de la recherche, plutôt qu’à leur État ou à leur nation d’origine (voir Francesco Clementi, Città del Vaticano, Bologne, Il Mulino, 2009, p. 57).

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