Abel et Caïn

Charles-Pierre Baudelaire
I

« Race d'Abel, dors, bois et mange ;
Dieu te sourit complaisamment.

Race de Caïn, dans la fange
Rampe et meurs misérablement.

Race d'Abel, ton sacrifice
Flatte le nez du Séraphin !

Race de Caïn, ton supplice
Aura-t-il jamais une fin ?

Race d'Abel, vois tes semailles
Et ton bétail venir à bien ;

Race de Caïn, tes entrailles
Hurlent la faim comme un vieux chien.

Race d'Abel, chauffe ton ventre
À ton foyer patriarcal ;

Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal !

Race d'Abel, aime et pullule !
Ton or fait aussi des petits.

Race de Caïn, coeur qui brûle,
Prends garde à ces grands appétits.

Race d'Abel, tu croîs et broutes
Comme les punaises des bois !

Race de Caïn, sur les routes
Traîne te famille aux abois.

II

Ah ! race d'Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant !

Race de Caïn, ta besogne
N'est pas faite suffisamment ;

Race d'Abel, voici ta honte :
Le fer est vaincu par l'épieu !

Race de Caïn, au ciel monte,
Et sur la terre jette Dieu ! »

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur

«Madame Bovary» par Gustave Flaubert
IEn matière de critique, la situation de l'écrivain qui vient après tout le monde, de l'écrivain retardataire, comporte des avantages que n'avait pas l'écrivain prophète, celui qui annonce le succès, qui le commande, pour ainsi dire, avec l'autorité de l'audace et du dévou

Vers pour le portrait de M. Honoré Daumier
XIIIVers pour le portrait de M. Honoré DaumierCelui dont nous t’offrons l’image,Et dont l’art, subtil entre tous,Nous enseigne à rire de nous,Celui-là, lecteur, est un sage.C’est un satirique, un moqueur; Mais l’énergie avec laquelleIl peint le Mal et sa sÃ

Tout journal n'est qu'un tissu d'horreurs
« Il est impossible de parcourir une gazette quelconque, de n'importe quel jour, ou quel mois, ou quelle année, sans y trouver, à chaque ligne, les signes de la perversité humaine la plus épouvantable, en même temps que les vanteries les plus surprenantes de probité, de bonté

Sur George Sand
XXVI« Sur George Sand.La femme Sand est le Prudhomme de l'immoralité.Elle a toujours été moraliste.Seulement elle faisait autrefois de la contre-morale.Aussi elle n'a jamais été artiste. Elle a le fameux style coulant, cher aux bourgeois.Elle est bête, elle est lourde, elle est

Spleen
LVSpleenJ'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,De vers, de billets doux, de procès, de romances,Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,Cache moins de secrets que mon triste cerveau.C'est une pyramide, un immense caveau,Qui c

Qu'est-ce que le romantisme?
Peu de gens aujourd'hui voudront donner à ce mot un sens réel et positif; oseront-ils cependant affirmer qu'une génération consent à livrer une bataille de plusieurs années pour un drapeau qui n'est pas un symbole? Qu'on se rappelle les troubles de ces derniers temps, et l'on verra

Mon coeur mis à nu
I« De la vaporisation et de la centralisation du Moi. Tout est là. D'une certaine jouissance sensuelle dans la société des extravagants.(Je peux commencer Mon coeur mis à nu n'importe où, n'importe comment, et le continuer au jour le jour, suivant l'inspiration du jour et de la cir




L'Agora - Textes récents