La psychologie à l'âge classique

Jacques Dufresne

On se connaît soi-même à la lumière de ce à quoi on aspire. La psychologie d'une époque est l'envers de son idéal, d'autant plus profonde et fine que cet idéal est plus élevé et plus exigeant.

« La Reine avoit, plus que personne que j'aie jamais vu, de cette sorte d'esprit qui lui étoit nécessaire pour ne pas paroître sotte à ceux qui ne la connoissoient pas. Elle avoit plus d'aigreur que de hauteur, plus de hauteur que de grandeur, plus de manière que de fond, plus d'inapplication à l'argent que de libéralité, plus de libéralité que d'intérêt, plus d'intérêt que de désintéressement, plus d'attachement que de passions, plus de dureté que de fierté, plus de mémoire des injures que des bienfaits, plus d'intention de piété que de piété, plus d'opiniâtreté que de fermeté et plus d'incapacité que de tout ce que dessus.» Retz, Mémoires, portrait de la reine Anne d’Autriche.

Nous sommes dépaysés aujourd’hui quand nous lisons de telles analyses des sentiments et plus encore quand nous apprenons qu’elles étaient le repos du guerrier, le loisir des plus grands parmi les aristocrates de ce siècle. Le cardinal de Retz, d’origine italienne, aimait l’intrigue, les duels, les affaires comme on disait à l’époque de la Fronde. Son style a le tranchant de l’épée. « Entre les trois grands styles de la prose au XVIIe siècle, dira Suarès, Pascal, Retz, Saint-Simon, Pascal est le style de la pensée, Saint-Simon celui du peintre et le cardinal celui de l’action ».

 

Quelle qu’ait été la vie de chacun – et Pascal a eu sa part des vices de son temps- ils avaient tous le même désir d’une même perfection, très élevée. Et ce sont les traits de cette perfection qu’ils dessinent en creux quand ils dévoilent l’imperfection dans un sentiment. Les subtiles distinctions dont ils sont capables sont l’envers des exigences vis-à-vis d’eux-mêmes dont ils pressentent l’avènement dans leur propre vie. La vérité à laquelle ils accèdent alors est la récompense du courage dont ils ont fait preuve. Pour bien voir un mal en soi, il faut se sentir capable d’appliquer le remède, ce que dit parfaitement un autre grand prosateur du XVIIe siècle, Bossuet dans l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre : « Elle étudiait ses défauts; elle aimait qu’on lui en fît des leçons sincères : marque assurée d’une âme forte, que ses fautes ne dominent pas, et qui ne craint point de les envisager de près, par une secrète confiance des ressources qu’elle sent pour les surmonter ».


Les dernières années de la vie de Retz furent tout le contraire de ce qu’avaient été les précédentes : celles d’un saint. Pascal eut aussi une fin plus élevée que son commencement. Les fines analyses de la pensée et des sentiments dont ils avaient l’habitude, cette recherche intrépide de la vérité, dans ces lieux, les replis de l’âme, où elle est le plus intangible, cette exigence qui n’épargne rien ni personne, étaient l’ébauche de la perfection à laquelle ils se sentaient appelés.

Voilà pourquoi Nietzsche a tant regretté que l’Allemagne n’ait pas subi l’épreuve de la psychologie telle qu’on la pratiquait au XVIIe siècle en France. Voilà pourquoi aussi il est si regrettable que, mené par l’esprit du temps, nous ne cherchions la vérité que dans le quantifiable et que, faute de cette passion de la perfection qui firent de Retz et Pascal de si fins psychologues, nous ne nous intéressions en nous-mêmes qu’à ce qui peut nous permettre de nous adapter à la vie sans trop souffrir, le plus souvent au moyen d’une pilule. « Un peu de poison ici et là pour faire des rêves agréables et beaucoup de poison à la fin pour mourir agréablement ». Nietzsche, dans Zarathoustra, à propos du dernier homme.

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