La médecine au Moyen Âge

Jacques Dufresne
On peut dire que ce sont les moines cisterciens du Moyen Âge qui, en assèchant les marais, ont libéré l'Europe de la malaria et en même temps, fondé la médecine écologique.
Le Moyen Âge
C'est au Moyen Âge qu'ont été fondés les premiers hôpitaux et les premières facultés de médecine. C'est au Moyen Âge également qu'on redécouvrit les grandes sources antiques, si importantes pour l'avenir. Ces sources furent retrouvées par l'intermédiaire des Arabes, plus particulièrement de deux philosophes qui étaient aussi versés en médecine, Avicenne et Averroès.

Mais c'est au Moyen Âge écologique que nous nous attarderons. Ce Moyen Âge écologique se confond avec celui des monastères. L'oeuvre colonisatrice et civilisatrice des moines, des cisterciens en particulier, est bien connue. Il suffit de quelques jours de voyage dans l'un ou l'autre des pays d'Europe pour sentir l'empreinte qu'y ont laissée les monastères. Beaucoup de gens ignorent cependant que cette oeuvre civilisatrice a été l'une des entreprises sanitaires les plus audacieuses et les plus réussies de l'histoire de l'Occident, non seulement parce qu'elle a apporté richesse et nourriture aux populations, mais encore parce qu'elle a éliminé bien des causes de maladies.

Les cistersiens, ces bénédictins réformés par Bernard de Clairvaux, se sont donné pour mission au XIIe siècle d'installer leurs monastères dans des vallées boisées et dans des régions marécageuses infestées de malaria. La renommée qu'ils acquirent en France dans la lutte contre cette maladie par la destruction des marécages fut telle qu'ils reçurent mission d'assécher la campagne romaine. On les invita ensuite à s'établir dans toutes les régions d'Europe.

La leçon qu'ils ont donnée à l'humanité va bien au-delà de ces succès mesurables, bien que ces derniers soient impressionnants, même selon les critères actuels. Ce sont les mobiles de ces moines qui doivent retenir notre attention. Quand ils contemplaient le site inclément destiné à accueillir un de leurs monastères, les Cisterciens avaient d'abord à l'esprit la beauté des lieux, une beauté qu'ils s'efforceraient ensuite d'adoucir par leurs travaux. Voici le commentaire que le site de Clairvaux, en Bourgogne, inspira à saint Bernard:

«Cet endroit a beaucoup de charme, il apaise grandement les esprits lassés et soulage les inquiétudes et les soucis; il aide les âmes en quête de Dieu à se recueillir, et leur rappelle la douceur céleste à laquelle elles aspirent. Le visage souriant de la terre y prend des teintes variées, la bourgeonnante verdure du printemps satisfait notre vue, et ses suaves senteurs flattent notre odorat... Et si la beauté de la campagne me charme extérieurement par sa douce influence, je n'en éprouve pas moins des délices in-times, en méditant sur les mystères qu'elle nous cache.»

Harmonie avec la nature
Dans le rapport harmonieux que les Cistersiens savaient établir avec la nature, René Dubos a vu un modèle pour notre époque technologique, dont les interventions sur le milieu vivant ont souvent manqué de sagesse.

Ils ont provoqué de profondes transformations du sol, des eaux, de la flore et de la faune, mais d'une manière assez sage pour que leur gestion de la nature restât le plus souvent compatible avec le maintien de la qualité de I'environnement. Pour se comporter d'une manière créatrice, l'homme doit se rapporter à la nature avec ses sens aussi bien qu'avec son bon sens, avec son coeur qu'avec ses connaissances. Il doit lire le livre de la nature extérieure et le livre de sa propre nature, afin de discerner les modèles qui leur sont communs et leurs harmonies.

La peste noire
Quelque bénéfique qu'ait été l'élan civilisateur du Moyen Âge pour la santé des populations, il allait pourtant être brisé par ces deux grands ennemis de l'espèce humaine que sont le rat et la puce. Le rat noir plus précisément, le mus rattus et la puce appelée xenopsylla cheophis, laquelle transmet aux humains le bacille de Yersin, cause de la peste.

Son origine se perd dans la nuit des temps... et des contreforts de l'Himalaya d'où elle semble avoir originé. La maladie s'est ensuite répandue au rythme des moyens de transport. Le cheval lui aurait fait faire un premier bond vers l'Afghanistan et la navigation vers le reste du monde. Elle sévissait dans le bassin méditerranéen entre les Vle et Vlle siècle. Elle semble avoir disparu au IXe siècle.

Elle se manifeste ensuite de façon continue de 1346 à 1720 à Constantinople, à Gênes, et dans toute l'Europe, du Portugal et de l'Irlande à Moscou. En Angleterre, de 1348 à 1377 la mortalité atteint 40% des habitants.

Elle est caractérisée par des poussées virulentes; on a identifié en France entre 1347 et 1536, 24 poussées principales, soit à peu près une tous les huit ans. En dehors de ces paroxysmes, la peste persistait à l'état semi-endémique, apparaissant capricieusement dans une rue, ou un quartier.

De 1536 à 1670, par contre, les poussées tombent à 12, à environ tous les onze ans. La maladie semble ensuite disparaître puis refait surface violemment en Provence en 1720. Quelques lieux et quelques dates: Londres 1603, 1625, 1665; Milan et Venise: 1576, 1630; Espagne: 1596, 1648-1677. Ce sont quelques points de repère. En fait, les épidémies s'étendirent à une grande partie de l'Europe. La peste ne disparut complètement qu'en 1721.

C'est l'année 1347 qui doit retenir ici notre attention. Un soir d'octobre, douze galères en provenance du port de Kaffa, en Crimée, se présentèrent dans le port de Messine, en Sicile. Ces galères étaient remplies de pestiférés. On les refoula, mais il était trop tard. D'autres équipages atteints du même mal avaient déjà laissé les traces de leur passage dans divers ports d'Italie. L'efficacité du bacille était fulgurante. À Messine, les premières victimes moururent quelques heures à peine après le passage des galères.

Si l'Europe avait été épargnée pendant des siècles, c'est parce que le mus rattus n'y existait pas. Ce rat étant revenu vers la fin du XlIe siècle, en tant que passager d'un autre bateau, le bacille de Yergin allait, à partir de 1347, disposer du vecteur dont il avait besoin pour conquérir toute l'Europe. En 1356, la peste s'éteignit à Kaffa, ayant accompli un cycle qui, selon Froissart, décima la tierce partie du monde.

Le Moyen Âge avait connu bien d'autres fléaux, la lèpre entre autres. Le grand élan vital qui caractérise cette époque fut cependant tel que les artisans construisirent les cathédrales et que les théologiens eurent le loisir de poursuivre la réflexion sur la santé et la maladie dont les Grecs avaient jeté les bases. Il serait fascinant d'étudier les rapports à travers l'histoire entre les grandes épidémies et le rebondissement créateur qu'elles semblent avoir provoqué.

Autres articles associés à ce dossier

Le travail dans les domaines seigneuriaux

Émile Levasseur

Sommaire. — L'esclavage. — La condition des personnes dans la villa et l'exploitation. — Les domaines de l'abbaye de Saint-Germain-d

Le travail dans les villes

Émile Levasseur

Sommaire. — La tradition romaine. — La transformation. — Les monétaires. — Saint Éloi orfèvre. — Les gens de métier

Le travail dans les monastères au Moyen Âge

Émile Levasseur

La loi du travail dans les monastères de l'Orient. — Les couvents de l'Occident. — La règle de Saint-Benoît de Nursie. — La propa

Les tournois

Jean-Jules Jusserand


Les joutes et pas d'armes

Jean-Jules Jusserand


Les exercices violents et les nécessités de la vie

Jean-Jules Jusserand

Pierre de Coubertin disait que l'histoire du sport se limite à trois époques: l'Antiquité, le Moyen Âge et les Temps modernes, époque à laquelle

La philosophie au Moyen Âge

Harald Höffding


Les liens d'appartenance au Moyen âge

Guy-H. Allard

Le regard du philosophe sur l'histoire.

À lire également du même auteur

Une rétrovision du monde
C‘est dans les promesses d’égalité que Jean de Sincerre voit la premi&egra

Éthique de la complexité
Dans la science classique, on considérait bien des facteurs comme négligeables. C'

Résurrection de la convivialité
Ivan Illich annonçait dès les années 1970 une révolution, litt&eacu

Mourir, la rencontre d'une vie
Si la mort était la grande rencontre d’une vie, que gagnerait-elle, que perdrait-elle &

Bruyère André
Alors qu'au Québec les questions fusent de partout sur les coûts astronomiques li&e

Noël ou le déconfinement de l'âme
Que Noël, fête de la naissance du Christ, Dieu incarné, Verbe fait chair, soit aus

De Desmarais en Sirois
Démocratie ou ploutocratie, gouvernement par le peuple ou par l'argent? La question se po

Le retour des classiques dans les classes du Québec
Le choix des classiques nous met devant deux grands défis : exclure l’idéal




Articles récents