La simplicité de Corot

Paul Valéry
[...] Corot ne consulte guère. Il ne hante que peu le Musée, où Delacroix va souffrir, être très noblement jaloux, soupçonner des secrets qu'il tente de surprendre comme on fait les secrets militaires ou politiques. Il y vole pour y chercher la solution d'un problème que son travail vient de lui proposer. De la rue de Furstenberg, tout à coup, toute affaire cessante, il lui faut courir au Louvre, sommer Rubens de répondre, interpeller fiévreusement le Tintoret, découvrir dans un coin de toile un indice de préparation, un peu du dessous qui n'a pas été couvert, et qui explique bien des choses.

Corot vénère les Maîtres. Mais il semble qu'il pense que leur « faire » n'est que pour eux. Il estime, peut-être, que les moyens d'autrui le gêneraient plus qu'ils ne le serviraient. Il n'est pas de ces hommes dont la jalousie s'étend à tout ce qui fut avant eux, et dont l'ambition est d'absorber toute grandeur passée – d'être à eux seuls tous les plus grands Autres – et Soi-Mêmes...

***



Il croit tout bonnement à la « Nature » et au « travail ».

En mai 1864, il écrit à Mademoiselle Berthe Morisot : Travaillons ferme et avec constance; ne pensons pas trop au papa Corot; la nature est encore meilleure à consulter.

Voilà une expression fort simple. Il y a en lui un esprit de simplicité. Mais la simplicité n'est pas le moins du monde une méthode. Elle est, au contraire, un but, une limite idéale, qui suppose la complexité des choses et la quantité des regards possibles et des essais, réduites, épuisées – substituées enfin par une forme ou une formule d'acte qui soit essentielle pour quelqu'un. Chacun a son point de simplicité, situé assez tard dans sa carrière.

La volonté de simplicité dans l'art est mortelle toutes les fois qu'elle se prend pour suffisante, et qu'elle nous séduit à nous dispenser de quelque peine. Mais Corot peine, et peine avec joie toute sa vie. [...]

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