Révolution galiléenne

Jacques Dufresne
La révolution galiléenne est d'abord et surtout une révolution théorique qui considère les mathématiques comme la «clé même de la compréhension de la nature». Cette décision de faire de la science mathématique la science même de la nature devait, bien sûr, avoir des conséquences incalculables sur la conception du rôle de l'expérience. Mais il importe bien davantage de comprendre que c'est d'abord une décision d'ordre philosophique, qui transforme le rapport de l'homme à son univers. On fait observer parfois que la conception d'un monde qui se déchiffre à l'aide des formes pures de la mathématique constituait, par-delà l'interprétation médiévale et arristotélicienne de l'expérience, un retour à la théorie platonicienne des idées: les structures mathématiques, comme les idées de Platon, précèdent les choses, elle en formulent la loi, en assurent la connaissance objective. Elles permettent d'élaborer un savoir rationnel du monde indépendant des opinions incertaines de. individus.

Ce savoir est donc universellement valable et il transcende ainsi les particularismes des expériences subjectives de l'individu. Sur ce point, cependant, la révolution galiléenne du savoir, nourri, d'apports ultérieurs importants, ceux de Descartes et de Leibniz surtout, diffère substantiellement des théories grecques dt la connaissance. Le rapprochement facile avec Platon et Pythagore est éminemment trompeur. L'idée platonicienne, qui constitue l'être véritable de la chose sensible, sollicite aussi le désir, elle est objet d'amour, fournit même la raison de toutes nos autres amours, jusqu'aux plus charnelles d'entre elles. L'idée du bien parfait est au fondement de l'érotique platonicienne. Et, selon la belle idée de La République, qu'il serait urgent de retrouver, la science elle-même n'atteint à sa véritable essence et à son achèvement que si elle «élève à la contemplation du bien ce qu'il y a de meilleur dans l'âme»

Par ailleurs, pour Pythagore, le cosmos, dont il découvre avec émerveillement qu'il est régi par la loi des nombres, demeure essentiellement l'objet d'un culte religieux fervent et c'est d'abord comme chef religieux que Pythagore sera reconnu et honoré.

Le caractère inédit et déterminant de la révolution galiléenne, et qui pèsera lourdement sur la science moderne, c'est qu'elle fait abstraction des apparences sensibles, de la sensation et de la pensée personnelle esthétique, émotif ou religieux que l'homme entretient avec son univers. La science galiléenne retient comme monde réel celui qui se dissimule derrière ces apparences, le monde vrai auquel elle demande de fournir ses raisons, comme le dira Heidegger, en exigeant de lui qu'il réponde à ses questions d'une manière telle que le calcul puisse l'appréhender.

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur

Une rétrovision du monde
C‘est dans les promesses d’égalité que Jean de Sincerre voit la premi&egra

Éthique de la complexité
Dans la science classique, on considérait bien des facteurs comme négligeables. C'

Résurrection de la convivialité
Ivan Illich annonçait dès les années 1970 une révolution, litt&eacu

Mourir, la rencontre d'une vie
Si la mort était la grande rencontre d’une vie, que gagnerait-elle, que perdrait-elle &

Bruyère André
Alors qu'au Québec les questions fusent de partout sur les coûts astronomiques li&e

Noël ou le déconfinement de l'âme
Que Noël, fête de la naissance du Christ, Dieu incarné, Verbe fait chair, soit aus

De Desmarais en Sirois
Démocratie ou ploutocratie, gouvernement par le peuple ou par l'argent? La question se po

Le retour des classiques dans les classes du Québec
Le choix des classiques nous met devant deux grands défis : exclure l’idéal




Articles récents