Gabriel Fauré et les poètes

Chronique des lettres françaises
À l’encontre du mépris voué par beaucoup de musiciens aux tendances littéraires de leur époque, Gabriel Fauré, qui vient de mourir, offrait l’exemple d’une intelligence en contact constant avec les productions les plus nobles de son temps. De 1865 à nos jours, son œuvre mélodique restitue l’image véridique des inclinations et des variations littéraires de l’élite française.

Aussi est-il du plus vif intérêt de rechercher ses préférences afin d’établir une sorte de parallélisme entre l’évolution de ses goûts poétiques et de son style musical.

Son premier recueil de mélodies a été écrit sous le Second Empire; trois grands poètes romantiques y sont accueillis, auxquels il ne reviendra jamais plus : c’est Victor Hugo avec sept pièces, Théophile Gautier avec quatre et Baudelaire avec trois.

Mais le voici au Parnasse avec Sully-Prudhomme et ses Berceaux, Leconte de Lisle, avec Les Roses d’Ispahan, Catulle Mendès, Armand Silvestre et aussi Richepin.

De Villiers de l’Isle-Adam, où l’a amené Baudelaire, l’on retrouve Nocturne et Les Présents; et c’est Henri de Régnier et Albert Samain. Voici enfin Verlaine avec dix-sept poésies, Verlaine, le plus musical des poètes contemporains. Deux compositeurs, au surplus, ont seuls pu égaler par leur musique le chant du pauvre Lilian : Claude Debussy et Gabriel Fauré. Au même titre que Watteau et que Verlaine, Fauré a contribué à créer une Ile-de-France imaginaire et maintenant réelle où des fantômes se poursuivent, sous les masques de la Comédie Italienne, dans les allées d’un vieux parc aux murmurants jets d’eau et sous les arceaux de verdure.

Et cependant c’est à Charles van Lerberghe, c’est à La Chanson d’Ève et au Jardin clos que Fauré a emprunté dix-huit poèmes qui constituent pour le poète belge un avantage d’un point sur Verlaine.

Depuis 1918, Gabriel Fauré a publié deux nouvelles suites de mélodies dont l’une est faite sur Les Mirages de la baronne de Brimont, et l’autre sur L’Horizon chimérique de H. de la Ville de Mirmont.

L’intelligence de Gabriel Fauré unie à sa sensibilité lui ont permis, après avoir pénétré l’esprit des poèmes qu’ils transposait en musique, de réaliser entre le texte et le commentaire une fusion si étroite que l’un et l’autre, le verbe et le son, ne forment plus qu’un tout inséparable.

La courbe de cette fusion part du formalisme un peu conventionnel emprunté à Hugo et à Gautier, passe par les arabesques flexibles de la poésie symboliste, pour atteindre à une flamme, à une richesse, à une plénitude de maturité avec Verlaine et aboutir avec L’Horizon chimérique à une pureté, une sérénité incomparables.

Ces passages de Gabriel Fauré à travers les œuvres les plus éclectiques de la poésie française sont empreints de certains traits communs qui sont la mesure, le goût, l’éloignement des excès, et une sécurité parfaite : pas d’emphase ni de grandiloquence, mais une sagesse égale qui lui a fait éviter l’hermétisme d’un Mallarmé alors qu’il tentait un Debussy et un Ravel.

Feuillage chuchotant, ombre fugace, reflet mobile, Fauré a recherché ce qui est souple, fluide, nuancé. Une eau claire et fidèle circule en son jardin, qui reflète les jeux subtils de la lumière, la candeur du printemps, du matin, des heures claires plus que les mystères de la nuit.

Si l’on veut imaginer Gabriel Fauré en homme du passé, c’est au bord d’un gave pyrénéen, devisant avec la Marguerite des Marguerites ou mieux encore, chantant aux accents de son luth, l’humeur fantasque de Gaston Phoebus (analysé d’après René Chalupt, Revue musicale, numéro du 1er octobre 1922 consacré à Gabriel Fauré).

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